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La transition est graduée : l’augmentation des pluies d’été, si rares sur le bord de la Méditerranée, déjà sensible à Carcassonne, se dessine nettement entre cette dernière ville et Toulouse. Graduellement aussi, mais plus loin vers l’intérieur, s’amortit la violence des vents, dont le chœur bruyant se démène autour de la Méditerranée. Le sol mieux lubréfié, moins balayé, se décompose en un limon tantôt brun, tantôt jaune clair. Le maïs, qui a besoin des pluies de printemps, dispute la place au blé.

Il y a donc au moins deux Midis dans le Midi. Celui de la Méditerranée, du Roussillon, du Bas-Languedoc, de la Provence calcaire est le plus accentué, surtout par l’empreinte que l’été imprime au paysage. Lorsque les campagnes ont supporté plusieurs semaines de sécheresse, une centaine de jours consécutifs de température supérieure à 20 degrés, qu’un manteau de poussière couvre tout, on a un instant cette impression de mort qui s’associe à l’été dans certaines mythologies de l’antiquité et du Mexique. L’humidité s’est réfugiée dans le sous-sol, où de leurs longues racines les arbres et arbustes vont la chercher. Les rivières dérobent leurs eaux sous un lit de galets. Sur les coteaux rocailleux il ne reste rien de la floraison riche et variée qui a éclaté au printemps. Mais les pluies cycloniques qu’amène généralement la dernière moitié de septembre mettent fin à cette crise de l’année. Octobre et novembre sont dans notre région méditerranéenne les mois pluvieux par excellence. Avec la fin de l’été se ravivent les brusques contrastes de température, dont l’influence parfois perfide, mais en somme plutôt tonique et raffermissante, est un des caractères de notre climat provençal.

Partout où la ceinture montagneuse règne autour de la Méditerranée, la transition du paysage est très brusque. Le contraste est complet à travers nos Cévennes : Karl Ritter, dans une de ses lettres de voyage, note combien, allant en diligence de Clermont à Nîmes, ce changement rapide le frappa. Au contraire, dans la vallée du Rhône ce spectacle se morcelle et se multipie. C’est successivement que les formes végétales méditerranéennes prennent congé : l’olivier vers les gorges de Viviers, le chêne-vert au delà de Vienne ; le mûrier au pied du Mont d’Or lyonnais, à peu près au point où les vignes d’espèces bourguignonnes, gamay, pineau, etc., se substituent aux plants qui rôtissent sur les coteaux du Rhône. Mais encore plus loin on trouverait quelques émissaires de la végétation méditerranéenne blottis à l’abri des escarpements calcaires du Jura méridional. De même, par la région des Causses, l’amandier, se glissant dans les replis des vallées, pénètre jusqu’à Marvejols ; le chêne-vert jusqu’à Florac et même s’avance aux environs de Rodez. Il semble que la végétation méditerranéenne soit douée, sous l’influence du climat actuel, de force envahissante, et que les roches calcaires, par leur chaleur et leur sécheresse lui facilitent la marche vers le Nord.

Mais vers Grenoble déjà, vers Vienne, le cadre et le tableau ont changé. Le soleil d’août, qui dessèche les vallées pierreuses de la Durance, fait étinceler dans la verdure celle du Graisivaudan. La prairie se mêle à la vigne et aux arbres fruitiers. La forêt couvre les massifs de la Grande-Chartreuse et