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VIII POUSSÉES EN FRANCE D'INVASIONS VENUES DE L'EST

La France garde le pli ineffaçable de ses origines profondément continentales. Le groupement de ses populations semble s’être accompli sous l’influence de refoulements partis de l’Est. Il serait difficile d’expliquer autrement bien des faits ; entre autres, le mode de répartition sur notre territoire des dolmens. Si fréquents dans l’Ouest, on sait qu’ils se montrent très rares dans la partie orientale de notre pays. Si ce type de constructions primitives a pu se répandre depuis le Nord de l’Afrique jusqu’à l’Irlande, quel obstacle, sinon la pression de peuples arrivant par d’autres directions, a empêché son expansion ou supprimé ses traces vers l’Est ?

Les populations brunes et fortement brachycéphales qui sont de longue date dominantes dans le Massif central, la Savoie, une grande partie de la Bourgogne, se rattachent par des affinités anthropologiques, non aux Ibères actuels, mais plutôt à celles qui, sous des mélanges divers, peuplent encore la région danubienne. Elles occupent l’extrémité de cette chaîne d’anciens peuples qui a mis en culture la zone de terres fertiles qui traverse de part en part le continent de l’Europe. Lorsqu’on essaie de chercher les causes des tendances et des aptitudes invétérées d’une population, la prudence conseille de ne pas s’en tenir à l’étude de leur milieu actuel, mais de considérer aussi les antécédents. C’est peut-être par des habitudes importées, autant que par l’influence directe du sol, que s’explique le tempérament obstinément agricole de la majorité de nos populations.


§ 3.


I LA ZONE D'ALLUVIONS LITTORALES DE LA MER DU NORD

La troisième des voies de migrations que nous avons indiquées, longe jusqu’en Flandre le littoral de la mer du Nord. Elle suit la zone d’éternelle verdure, celle des marschen, polders, watten ou alluvions littorales, dont la carte montre l’étendue. Elle est séparée au Sud de la zone de lœss ou de limon qui se déroule de l’Elbe à l’Escaut par une série de landes et de tourbières : Campine, Peel, Bourtange, Landes de Lunebourg, sols ingrats de graviers et de sable, provenant en partie de débris de moraines glaciaires ; espaces déshérités, où l’éternelle alternance de bois de pins, de maigres champs, de bruyères brunes attriste la vue. On ne peut imaginer le plus frappant contraste que celui qui existe entre ces régions encore aujourd’hui assez solitaires et les deux zones fertiles et populeuses qui la limitent au Nord et au Sud.

Ces terres amphibies, menacées par les revendications de la mer, et où l’eau, subtil et sournois destructeur, s’insinue et suinte dans le sous-sol, offraient certainement des conditions plus difficiles que les plates-formes limoneuses de l’intérieur. On s’explique cependant les avantages qui attirèrent les hommes. Il est prouvé que les espaces découverts le long des