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ont légué dans les dolmens, les abris sous roches, les enceintes fortifiées, des traces de leur occupation, ont sans doute laissé des éléments dans la population actuelle ; mais il semble que leurs débris, émiettés dans quelques vallées, soient destinés aussi à se fondre prochainement. La redoutable force de l’industrie moderne, avec les habitudes qu’elle semble trop généralement entraîner, portera peut-être le dernier coup à ces survivants.

V Populations humaines

L’élément le plus ancien de la population vosgienne appartient au même type brachycéphale que celui qui prévaut dans le Morvan et le Massif central. Traversé par d’autres couches de populations, que l’exploitation des mines ou une colonisation sporadique ont, à diverses époques, implantées jusque dans l’intérieur des Vosges, il subsiste néanmoins dans les hautes vallées des deux versants. Il descend sur le versant oriental avec les vallées dites welches, qui ont conservé leur patois roman. Une empreinte gauloise prononcée reste sur les Vosges. Les plus anciens monuments où se marque la main de l’homme ressemblent à ceux qui existent en différentes parties de la Gaule. Le Donon, comme le Puy de Dôme, a son culte perpétué plus tard par un temple. Sur le promontoire fameux où la légende de sainte Odile a succédé peut-être à quelque ancien sanctuaire, se dressent les restes d’une enceinte fortifiée semblable à celles qui couronnaient le mont Beuvray et d’autres sites stratégiques d'oppida gaulois. Ce fut sans doute un refuge, rendu nécessaire par les invasions qui vinrent de bonne heure assaillir la riche plaine. Chaque jour, les découvertes préhistoriques nous font mieux apprécier l’importance des groupes de population qui avaient occupé les fertiles terrasses limoneuses bordant le pied oriental du massif. Menacées par des ennemis, les populations du versant alsacien recherchèrent sur les sommets l’abri des fortifications naturelles. Ce sont elles qui ont dressé sur les cimes ces camps retranchés dont on voit des restes non seulement à Sainte-Odile, mais à Frankenburg, à l’entrée du Val-de-Villé. C’est partout le rôle de la montagne d’offrir asile aux races refoulées.

Bien plus âpre, bien plus longue est la pénétration parle versant opposé. La vallée lorraine, irrégulière et raboteuse, serpente péniblement sur le flanc occidental du massif. Elle est tournée vers les vents pluvieux. Elle n’a ni le climat, ni les ressources naturelles des vallées du flanc opposé, ni le châtaignier,ni la vigne. C’est par saccades et par des efforts répétés qu’une population parvint à s’y constituer. Plus encore que sur le côté alsacien, il fallut l’action systématique des monastères pour introduire dans ces solitudes forestières la culture et la vie : Épinal, Remiremont, Saint-Dié, Senones, Étival, etc. La vallée lorraine des Vosges ne s’est peuplée et n’a vécu que par l’appui des petites villes qui se sont formées sur sa périphérie. Plusieurs de ces villes gardent encore quelque chose de la physionomie de ces marchés urbains qui, à proximité des montagnes, s’établissent pour servir aux tran-