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c’est une symphonie de verdure qui, par un beau jour, monte vers le bleu cendré du ciel. Mais le charme grave qui s’exhale du paysage ne parvient pas à dissimuler la pauvreté native du sol. Les substances azotées manquent à ces terrains presque exclusivement siliceux. Ces prés, sauf dans quelques parties privilégiées, ne nourrissent qu’un bétail mesquin ; les vaches suisses ont peine à s’y entretenir.

Les distinctions que la géographie actuelle établit dans cet ensemble furent lentes à se présenter à l’esprit des hommes. Pendant longtemps tout se confondit pour eux en une région forestière, où l’arbre était roi, et où l’homme, en dehors de la chasse et des ressources dépendant de son ingéniosité, trouvait peu à vivre. C’était une de ces grandes silves qui de l’Ardenne à la Bohême couvraient la majeure partie de l’Europe. Sans quitter les bois on pouvait aller, vers le Sud-Ouest, comme vers le Nord, bien au delà de la contrée sur laquelle se localise aujourd’hui le nom de Vosges. Tout le pays des sources de la Saône appartient encore par la nature du sol à l’ancienne Forêt : c’est encore la Vôge, au dire des habitants. Et vers le Nord, après que la zone de forêts s’est momentanément amincie au col de Saverne, elle ne tarde pas à s’étaler de nouveau. Un écureuil pourrait sauter d’arbre en arbre dans la Haardt qui entoure en arc de cercle les plateaux que traverse la Sarre. A Forbach, comme à Bitche, comme dans le pays de Dabo, ou au Sud de Baccarat ou d’Épinal, les hêtres se mêlent ou se substituent aux sapins ; mais c’est toujours même sol, même paysage forestier sur le sable et mêmes conditions d’existence. C’est là ce que saisit d’instinct le langage populaire. L’homme désigne et spécialise les contrées d’après les services qu’elles lui rendent. Pendant longtemps il ne put tirer qu’un maigre parti de ces solitudes silvestres. Il les confondit en un vague ensemble ; et c’est ainsi que les habitants des contrées cultivées et fertiles qui en garnissent les abords parlaient, dès le temps de César, d’une Forêt des Vosges allant des environs de Langres jusqu’au pied des Ardennes. Cela voulait dire que dans toute cette étendue régnait une sorte de marche forestière, qui était pour les gens des plaines voisines une région inhospitalière et avare. Plus tard, avec les exagérations qui leur sont propres, les légendes issues des monastères traduisaient la même impression de répugnance. L’installation dans ces solitudes y est célébrée comme une entreprise héroïque.

Pour nous, aujourd’hui, cependant, les vraies Vosges, avec le petit monde vosgien qui s’y est formé, se concentrent dans le vieux massif archéen et la région de grès qui en recouvrent immédiatement les flancs. Elles s'arrêtent au Nord vers le col de Saverne. A l’Ouest elles enveloppent la vallée de la Moselle jusqu’aux environs d’Épinal. Le massif semble, il est vrai, brusquement s’arrêter au Nord de Belfort ; mais il est facile de s’assurer que par une sorte de torsion, il s’infléchit ; car des fractures en étoilement montrent jusqu’aux abords de Plombières avec quelle intensité s’est encore exercée dans ce coin extrême des Vosges l’action dynamique. Ainsi délimité, ce massif n’offre pas, comme les Alpes, un système rami-