Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

là que, pour la dernière fois, les rapports étaient aisés entre les pays situés au Nord et au Sud de la Seine.

Si Rouen possédait vers le Nord des relations aussi faciles qu’avec la contrée qui est au Sud du fleuve, sa position ressemblerait là celle de Londres. Mais le pays auquel il donne immédiatement accès au Nord est une sorte de péninsule, coupée de vallons profonds et transversaux ; et, au delà, c’est vers Paris, ou Reims, bien plus que vers Rouen, que regardent la Picardie et les Flandres. Au contraire, sur la rive gauche de la Seine, il suffit de traverser la frange de forêts qui s’inscrit dans la boucle fluviale, pour atteindre de grands plateaux en grande partie limoneux et reposant, comme celui de Caux, sur un soubassement de craie. Un Romain y retrouverait les grandes surfaces agricoles, les champs de blé qui ont frappé sa vue, les directions de routes dont il a fait usage. Telle est la voie qui, partie de Rouen, se dirige, par le plateau du Roumois, vers Brionne[1], passage ancien et traditionnel de la Risle. De là il est facile d’atteindre Lisieux ou Evreux, sur les plateaux découverts qui recommencent : aucune rivière entre Brionne et Évreux, aucune entre cette dernière ville et Dreux. Les plains ou campagnes, divisés seulement par des lambeaux de forêts, se succèdent au même niveau, homogènes de composition et de structure. Ils se déroulent comme une arène ouverte jusqu’au Pays chartrain et à la Beauce, montrant la voie aux maîtres de la Seine maritime. Ce fut un procès plein de vicissitudes que celui qui se débattit, du Xe au XIIe siècle, pour la possession de cette grande zone qui se prolonge jusqu’à la Loire. De Rouen à Orléans la distance est plus longue d’un tiers que de Paris ; mais les obstacles naturels ne sont guère plus considérables. Les seuls qui s’offraient étaient ces rivières lentes et profondes qui creusent à la base des plateaux des côtes assez raides, et sur lesquelles les forteresses normandes s’opposèrent longtemps aux forteresses françaises. L’Avre devint ainsi une ligne stratégique, défendue à Nonancourt, Tillières, Verneuil.

Médiocres séparations en somme, et partout, au contraire, des conditions homogènes de culture, une circulation depuis longtemps régularisée : tout ce qui contribue à cimenter un état social. Il se trouva donc que la contrée qui offrait à un état constitué à l’embouchure de là Seine les perspectives les plus naturelles d’extension, était une contrée profondément romanisée, tout imprégnée de civilisation antérieure. Un groupement politique s’y était déjà opéré au profit de Rouen. Métropole de la deuxième Lugdunaise, puis métropole ecclésiastique, Rouen était, comme Tours, Reims, une gardienne de traditions romaines. Autour de ce centre urbain gravitaient d’anciens pays gaulois échelonnés sur les voies romaines se dirigeant vers l’Ouest et le Sud. L’existence de cadres anciens perpétuait des influences nées du sol et déjà consolidées par l’histoire. Il y avait comme une force enveloppante, dès qu’on s’écartait des côtes et des fleuves.

  1. Un gué, comme l’indique le nom (Brivodurum).