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d’alluvions que déposent en se rapprochant les rivières. Ainsi est constitué « ce bon pays de Véron », comme dit Rabelais, coin enfoncé dans l’angle de la Loire et de la Vienne : pays resté longtemps isolé dans sa richesse, comme d’autres dans leur pauvreté.

Le paysan des plateaux offre déjà bien des traits du paysan de l’Ouest, isolé dans ses métairies, nourrissant sous une apparence de douceur un esprit de superstition et de méfiance. Au contraire la vie urbaine et surtout villageoise a pris fortement racine aux flancs des vallées : vie joyeuse de vignerons auprès desquels les gens des Gâtines et plateaux semblent de pauvres hères. Ils sont fiers de leur bien-être, exigeants pour leur nourriture et leur costume, soigneux de leur habitation. Cependant l’exiguïté de ces habitations étonne. La Touraine est par excellence le pays des petites maisons blanches, sans étages, à toits d’ardoise. De même dans les habitations rurales l’aménagement destiné au bétail, instruments, cheptel agricole, est rudimentaire. C’est que, pour les cultures délicates auxquelles l’homme s’adonne de préférence, l’outillage est réduit : l’outil principal, ce sont les bras du vigneron lui-même. De là, l’étroitesse de la maison ; de là, aussi, ce corps souvent courbé, avec ces bras noueux comme les ceps qu’ils ont l’habitude de tailler.

Ce contraste entre les populations des plateaux et celles des vallées va s’accusant vers l’Ouest. À mesure que le Massif primaire d’Armorique fait sentir ses approches, la vallée, devenue plus ample et plus basse, prodigue davantage ses dons. Le Loir sinueux s’épanouit à partir de Montoire dans l’aimable vallée qu’ont chantée Ronsart et Racan ; tandis que sur les sables qui font au Nord leur apparition, un pays coupé de haies et de forêts se prolonge de Château-du-Loir au Perche. En bas, l’abondance et la vie douce, en haut, déjà le commencement de la vie rude et pauvre de ces marches de l’Ouest ; contraste dont les luttes de la Révolution nous font sonder la réalité. Nulle part la vallée de la Loire n’est aussi animée et joyeuse que dans cette large ouverture qu’encadrent les coteaux de Chinon, de Bourgueil et de Montsoreau. L’esprit est alerte et la langue colorée, sur cette terre rabelaisienne où se déroule, entre Picrochole et Gargantua, une guerre moins fertile encore en coups qu’en paroles. L’abbaye de Thélème est la seule qui convienne et qui plaise à ces caractères raisonneurs et affranchis, pour lesquels la nature se montre indulgente. Jusqu’à Saumur et au delà, la côte aux vins pétillans entretient la vivacité et la joie au cœur des habitants de la Vallée.


IV ROUTES ET IMPORTANCE HISTORIQUE DE LA TOURAINE

La Touraine, réunion de vallées au point où le Bassin parisien confine à l’Armorique et à l’Aquitaine, se trouve beaucoup plus que le Berry, qui est trop enfoncé dans l’intérieur, mieux même que le Maine et l’Anjou, qui se serrent le long du Massif armoricain, sur une des grandes voies de circulation. C’est le chemin du Sud-Ouest ; et de bonne heure les voies