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dant une assez longue période, ce fut là, entre Gien et Orléans, que parut se fixer le centre de notre histoire. De Saint-Benoît, Saint-Aignan, Germigny à Orléans, c’est un voyage au pays des Capétiens. Ce qui vit ici dans les monuments, ce n’est pas, comme au Nord, le classique XIIIe siècle, mais quelque chose de plus ancien et de plus méridional, où l’on sent davantage des influences venues de Bourgogne et d’Aquitaine. Le langage s’épure et s’affine dans les vieilles locutions dont il est imprégné remonte la sève vivante dont s’est formée et nourrie notre langue. Jusqu’à Blois et à Tours, rien que de purement et foncièrement français ne résonne à l’oreille.

Cette vie de la Loire est une de ces choses à demi éteintes, qui se dérobent aujourd’hui, et qu’il faut saisir à travers les fuyants du passé. Des marchés fluviaux se formèrent aux deux extrémités de ce Val, en rapports faciles avec la Seine. Gien et Orléans allongent parallèlement au fleuve leurs sombres et vieilles rues. Comme dans les anciennes villes marchandes où affluaient les étrangers, de nombreuses églises, quelques-unes entourées de cloîtres, évoquent le passé de l'emporium Orléanais. On n’y voit plus, comme au temps de La Fontaine, « une majesté de navires », ce mouvement montant et descendant de bateaux à amples voiles, qui semblait une image du Bosphore à ce bourgeois de Château-Thierry[1]. Mais la Loire a eu jadis, comme chemin qui marche, comme médiatrice entre les fers du Nivernais, les vins d’Orléanais et de Touraine, une importance dont l’Anjou et le pays de Nantes profitaient encore largement au siècle dernier. C’est presque un devoir de rappeler cette activité, que notre époque a été incapable jusqu’à présent de lui rendre.

Ce sommet de la courbe septentrionale de la Loire est un point vital. Le site d’Orléans, par les rapports généraux qui s’y croisent, est une des attaches historiques du sol français. Tandis que les voies venant de Bordeaux et de Lyon sont infléchies vers ce point par la convergence des deux éléments de la courbe fluviale, c’est également là que le Massif central trouve l’accès le plus commode et le plus sûr vers Paris. En effet, les abords septentrionaux d’Orléans se découvrent. Là s’amincit et se termine la vaste bande forestière qui s’étend jusque près de Gien. L’existence de cette région peu attractive et difficile a rejeté vers Orléans les voies venant de la Champagne et du Nord-Est. Elles s’y rencontrent avec celles qui viennent des parties opposées de la France. Metz et Orléans sont en 1870, comme au temps d’Attila, les étapes d’une même voie d’invasions.

Rien d’étonnant que l’importance de ce carrefour et point de passage se manifeste à toutes les époques de notre histoire. Depuis qu’entre les bords de la Meuse et de la Garonne il y a eu des âmes conscientes de concourir à une vie commune, cette partie du sol français a attiré leur attention. Chaque grande crise ramène les yeux sur elle. De bonne heure la Royauté comprit son importance : sa possession précoce lui donna le levier nécessaire pour

  1. Relation d’un voyage de Paris au Limousin en 1663.