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neuses, sables et grès qui précèdent dans l’ordre chronologique la craie proprement dite, se déroulent en arc de cercle de la Puisaye à l’Argonne. Sur ce sol imperméable les eaux vagabondent, elles forment des étangs, d’innombrables noues ; elles envahissent des forêts basses et fangeuses, salissent de leurs troubles les rivières que les calcaires jurassiques avaient maintenues si pures. Aux reliefs réguliers succède une topographie qui se perd dans la multiplicité menue des accidents de terrain ; aux pierrailles et aux vignes, une zone d’humidité verdoyante et bocagère ; aux chênes, les bouleaux ; à la fine végétation de lianes, une végétation filamenteuse de genêts et de bruyères. Les fruitiers se dispersent dans les champs ; des lambeaux de forêts traînent un peu partout ; et les maisons en torchis, en bois, ou en briques, brillent disséminées dans les arbres.

On ne se doute pas de l’aspect du pays, quand on le traverse suivant les vallées des principales rivières ; on ne voit alors que des alluvions étalées en vastes nappes, à peine assombries au loin par des lignes de forêts. Le peu de consistance du sol, incapable d’offrir une grande résistance aux eaux, donne une grande ampleur aux vallées. Celle de la Seine en amont de Troyes, de l’Aube à Brienne, et surtout celle de la Marne entre Saint-Dizier et Vitry, sont de véritables campagnes enrichies par les dépôts limoneux enlevés aux plateaux calcaires. Là s’établirent les centres précoces de richesse agricole. Les parties argileuses de la zone champenoise n’étaient encore que des fondrières fangeuses dont seulement au XIIe siècle les Cisterciens et les Templiers tentèrent le défrichement, tandis que depuis des siècles des populations étaient établies et concentrées dans ces plaines. Celle du Perthois, que traverse la Marne, est, sous ce nom anciennement connu, la première plaine fertile d’ample dimension que l’on rencontre entre le Rhin et Paris. Dans la vallée de la Seine, Troyes est la première grande ville que baigne le fleuve ; bien située au contact de régions agricoles et forestières, voisine de la forêt d’Othe qui lui a fourni non seulement les charpentes de ses vieilles maisons, mais de précieux germes d’industrie, elle domine la batellerie supérieure de la Seine. Ces plaines d’alluvions furent les passages par lesquels la Champagne se relie à la Bourgogne et à la Lorraine. La circulation était difficile à travers les fondrières des forêts plates d’Aumont, d’Orient, du Der, du Val, etc., autant qu’à travers celle de l’Argonne.


II ARGONNE

Celle-ci est un pays de même nature. Si, au lieu d’être déprimé, il s’élève en saillie, c’est qu’un mélang de silice a rendu l’argile dont il est constitue assez résistante pour former, sous le nom de gaize, une sorte de banc glaiseux et compact. À l’Est, les dômes qui surmontent la petite ville de Clermont, ont, par exception, des silhouettes assez vives ; le modelé est en général informe. Les versants, boisés comme les sommets, s’élèvent d’un jet. Les eaux ont isolé ce pâté d’argile, en ont pétri les contours, mais n’ont pas