Page:Vidal de la Blache - Tableau de la geographie de la France, 1908.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éleva, en 865, contre les incursions normandes, la forteresse de Bruges, un important réseau de voies romaines. Elles se reliaient aux grandes voies partant de Cologne et de Reims, par ce carrefour de Bavai, d’où rayonnaient sept voies ou chaussées de Brunehaut. C'était donc là qu’aboutissaient les lignes d’une circulation active pénétrant de deux côtés différents dans l’intérieur du continent. Des foires fameuses, à Thourout, puis à Bruges et ailleurs, furent l’expression de ces rapports. On y venait de Basse-Allemagne comme de Champagne. C’est par groupes de foires, se succédant à des dates diverses pour la commodité des marchands que se constituaient jadis des foyers commerciaux. L’industrie, certaine d’y trouver des débouchés, avait avantage à s’y établir. Ainsi naquit une pépinière de villes, ateliers d’industrie, foires ou ports maritimes, au premier rang desquelles brilla cette cité née entre la boue des alluvions et le sable des landes, Bruges. La solitude est revenue autour d’elle et l’on cherche entre les prairies et les peupliers la place où se pressaient les flottes ; on n’entend plus passer entre ses canaux silencieux la rumeur quotidienne de ses grandes foules d’artisans. Mais ce n’est qu’un déplacement de la vie commerciale, dont aujourd’hui a hérité Anvers. Cette partie d’Europe, quand les guerres n’y ont pas mis obstacle, a toujours été un pays de transit, un lieu de rencontre entre le Nord et le Sud, entre le continent et l’Angleterre. C’est sa vocation, déterminée par sa position géographique. Elle apparaît, dès le Moyen âge, comme la plus véritablement européenne des contrées de l’Occident, celle où marchands d’Angleterre, de France et d’Italie, marins catalans, vénitiens et hanséates, se rencontrent. La renommée en retentit au loin ; on en connaît les aspects, les paysages, les digues. Dante lui emprunte des comparaisons[1]. Quant à Paris, il a toujours été, comme il est encore, par une ligne presque ininterrompue de voies fluviales, en communication naturelle avec les Flandres. On a, de Paris même, la sensation de ce contact. Par la fente ouverte entre Ménilmontant et Montmartre, canaux, usines, chemins de fer se pressent ; et la plaine elle-même semble fuir vers le Nord.

Bien avant qu’au XVIe siècle Guichardin écrivît que la Flandre « était une ville continue », les étrangers s’étaient montrés étonnés de la multitude de populations qui s’y pressaient. Suger, dès le XIIe siècle, en exprime sa surprise[2]. Comme aujourd’hui il y avait là un réservoir d’hommes dont le trop-plein se déversait au dehors, quelquefois au loin. Et c’était un problème toujours renaissant que d’assurer la subsistance de ces grandes populations urbaines ou industrielles. Pour cela il fallut créer une agriculture intense. Il se passa au Moyen âge, dans ces contrées, le phénomène qu’on remarque aujourd’hui dans certains cantons stériles où la houille a concentré de grandes agglomérations : la terre se transforme, le sol s’enrichit

  1. Enfer, c. 15, v. 4-7.
  2. Terra valde populosa. Vie de Louis le Gros, chap. XXIX (éd. A. Molinier, dans la Collection de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’histoire. Paris, Picard, fasc. 4, 1887).