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où les croupes crayeuses, en s’abaissant, laissent de leur filtre souterrain s’échapper les eaux. Les rivières s’y enflent du tribut que leur fournit leur propre vallée. Celle qu’a creusée la Lys étonne par sa largeur ; mais si l’on considère les dimension des galets qu’elle a entraînés à une époque antérieure, on s’explique comment elle a pu ouvrir, d’Aire à Armentières, cette large trouée qui semble avoir été le grand passage des eaux vers le Nord. Des marais accompagnent les rivières à leur entrée en plaine. De Saint-Omer, par Aire, Béthune, Arleux, Marchiennes, on les suit bordant presque la lisière de Picardie et d’Artois. Elles traçaient d’avance les directions de canaux, elles assuraient leur alimentation. Il fut facile de combiner ainsi le réseau cohérent qui donna aux Flandres leur unité. Ces rivières étaient assez égales de débit, assez régulières de pente pour servir d’instruments dociles et maniables entre les mains de l’homme. Il les a dirigées, canalisées, détournées au besoin. Dans le lacis de leurs ramifications s’est niché le berceau de villes puissantes, Gand, Lille. Surtout la possession d’une force de transport souple et multiple, chose autrefois si rare, a été pour cette contrée l’inestimable avantage qui lui a donné l’avance sur les autres.


VIII FORMATION POLITIQUE DE LA FLANDRE

Ce sont des causes commerciales qui, de cet ensemble varié de pays, ont formé une contrée politique.

Pendant longtemps le souvenir des régions naturelles a survécu dans la dénomination commune : jusqu’au XIIe siècle les chroniqueurs écrivaient les Flandres. La Flandre primitive est le Franc de Bruges, la lande aride qu’échancrait l’ancien golfe du Zwyn. Les Flamands, dans les textes les plus anciens, sont distingués des peuples de Courtrai, de Gand et de Tournai, et reliés au contraire aux Anversois et aux Frisons ; ils font partie d’une chaîne de peuples qui suit la mer du Nord et s’est constituée sur la zone littorale d’alluvions qui s’étend du Slesvig au Pas de Calais. C’est visiblement le long des côtes que se sont propagées ces tribus d’éleveurs et de pêcheurs, barbari circa maris littora degentes[1] destinés à devenir des peuples historiques. Tous n’eurent pas la même fortune : les Frisons, relégués à l’écart des grandes voies continentales, furent condamnés par l’isolement à une relative insignifiance politique. Cet isolement se manifeste encore, chez les insulaires de la Zélande, par l’originalité tranchée des costumes et même des types. Il en fut autrement dans les parties de ce littoral germanique où aboutissaient des voies depuis longtemps fréquentées par le commerce. C’est aux embouchures du Rhin que se forma le noyau de la Hollande. Celui de la Flandre se forma aussi sous l’influence de relations commerciales préexistantes.

Il y avait, à proximité du point où un gendre de Charles le Chauve

  1. Vie de saint Éloi, liv. II, chap. III (Rec. des historiens des Gaules et de la France, publ. par Dom Bouquet, t. III, 1741, p. 557).