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pêcheurs, dont l’occasion fit des corsaires. La grosse tour de Dunkerque s’accusant vigoureusement dans la moiteur du ciel, sur les tons ternes des dunes et des eaux, annonce de loin le grand port qui est né de ces humbles commencements. Adossée aux chaussées, aux watergands, la file des maisons, comme en Hollande, s’allonge. Parfois, bien que rarement, elles se ramassent en petits groupes ; et ces ham ou hem pelotonnés autour de l’église (kerque) fournissent un centre et un nom à la petite collectivité rurale.

Sur les croupes agricoles voisines la population est encore germanique de langue, bien que visiblement plus mêlée d’éléments anciens. Là elle s’est disséminée plus à l’aise. Le hofstede, ou ferme, est le vrai centre de peuplement. Il semble éviter les grandes routes, les abandonner aux auberges et estaminets. Ces fermes se répandent sur tout le pays, sans laisser entre elles les grands intervalles vides qu’on observe dans l’Ile-de-France. Avec toutes ses parties et dépendances, le hofstede est une unité robuste et ample, qui se suffit à elle-même. Le huis, ou maison d’habitation, bâti en bois et en torchis, couvert de chaume, situé à portée des fossés ou ruisseaux, parfois sur une motte de terre (terp), est séparé des bâtiments d’exploitation. Parmi ceux-ci l’étable, réservée aux bêtes à cornes, plus nombreuses et de plus belle race que dans le pays wallon, est le principal. Autour de la ferme s’étale, outre le potager où manquent rarement les fleurs, l’enclos spacieux (hof) entouré de beaux ormes et de haies vives ; c’est là que, sous l’œil du maître, paissent les troupeaux de la ferme. Le tout forme un ensemble autonome, où respire, avec les habitudes d’existence et les goûts propres au pays flamand, l’individualisme profond de la race. Pour les services publics, école, poste, etc., quelques maisons, groupées autour du clocher, forment le platz. Mais le noyau vivant est la ferme.


VII L'EAU DANS LES FLANDRES

Partout, dans la zone maritime comme dans la Flandre du limon ou celle du sable, l’eau est présente. Là est le trait commun. Elle suinte et circule sur la surface, et sous elle presque à fleur de sol. On ne peut faire un trou sans la trouver. Le subtil élément, ennemi aujourd’hui dompté[1], ne se manifeste plus que par ses qualités bienfaisantes. Il est le principe de fertilité, de mouvement et de vie.

On serait averti, quand on vient du Cambrésis ou de l’Artois, de cette présence universelle de l’eau, rien qu’à voir la beauté des arbres. Arbres et moissons poussent drus. Pas de partie nue et vide dans l’abondance qui couvre le sol. Les rivières, si rares sur les plateaux picards, se multiplient. Les unes venues déjà de loin, d’autres nées à la faveur des failles qui découpent les collines d’Artois, toutes, dès qu’elles débouchent en Flandre, grossissent soudainement. C’est que les sources abondent le long de la zone

  1. Cependant une inondation a encore, en 1880, couvert une partie de la Flandre maritime.