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Qu’on ne me parle point de son humeur légère :
Je veux que ses deffauts me la rendent plus chère.
Ce que fait la raison pour erapescher d’aimer
Ne peut que mes désirs davantage allumer.
Quoy que dans le travail mon esprit diminue,
Que ma vie en devienne une mort continue,
Que mon sens estourdi relasche sa vigueur
Et desjà sur mon front imprime sa langueur
(Cependant que Cloris est la vive peinture
Du plus riche en bon poinct que peut donner nature),
Que son cœur nonchalant, ou peut-estre inhumain,
A mon dernier malheur doive prester la main ;
Que souvent d’un baiser elle me soit avare,
C’est tout un, il me plaist qu’elle me soit barbare ;
Je veux pour mon plaisir aymer sa cruauté ;
En faveur de ses yeux je hay ma liberté,
Je hay mon jugement, et veux qu’on me reproche
Que j’ayme sans sujet un naturel de roche,
Je me console assez puisque je voy les Dieux
Endurer comme moy l’empire de ses yeux ;
Que le soleil, jaloux de la voir luire au monde,
Pasle ou rouge, tousjours se va cacher sous l’onde.
Je ne sçaurois penser que la fierté des ans,
Que ce vieillard cruel qui mange ses enfans,
Voyant tant de beautez, puisse avoir le courage,
Tout impiteux qu’il est, de leur faire un outrage,
Et, quoyqu’un siècle entier la conduise au trépas,
Pour moy tousjours ses yeux auront assez d’appas.
Mon inclination est assez pure et forte
Contre le changement que la vieillesse apporte,
Quand le ciel par despit renverseroit le cours
Et l’ordre naturel qu’il a prescrit aux jours,
Et que demain, pour voir si mes désirs perfides
Se pourroient démentir, il lui donnast des rides.
Ma flame dans mon sang en ses plus chauds bouillons