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Offrist à ta beauté qu’un vœu respectueux ?
Mes désirs sont ardens, mais ils sont vertueux,
Et ce plaisir lascif où le brutal aspire
N’est pas le mouvement du feu que je souspire.
J’ayme à te regarder et d’estre tout un jour
Mourant auprès de toy sans te parler d’amour,
Si ce n’est que mes yeux, au desceu de mon ame,
Fassent etinceler quelque rayon de flame,
Et que mon cœur, surpris de tant de passion,
Lasche quelque souspir sans mon intention.
Mon pauvre esprit captif craint si fort ta cholere
Qu’il n’ose bazarder mesme de te complaire.
J’ayme mieux me fascher de n’avoir point osé
Que mourir dans l’affront de me voir refusé :
Car nier quelque chose à mon désir fidelle,
Ce seroit me donner une douleur mortelle,
Et, de regret contraint de me désespérer,
Je perdrois le plaisir que j’ay de t’adorer.
Il vaut mieux vivre encor en ceste incertitude,
Et, quoy que le destin garde à ma servitude,
Cependant cet amour me tient les sens ouverts
A la facilité de composer des vers.
J’en tire le plaisir de paindre en mon ouvrage
Tous les traicts de mon ame et de ton beau visage,
Et leurs lineamens, pourtraits dans mes escrits,
M’entretiennent tousjours les yeux et les esprits.
Puisque le Ciel t’a mis dedans la fantasie
Le bon heur de gouster un peu ma poésie,
Tu verras mon génie, à tes yeux complaisant.
T’en faire tous les jours quelque nouveau présent.
Ma passion destine une œuvre à ta louange
Qui te doit plaire mieux que les thresors du Gange,
Et, lorsque mon travail te fait songer à moy,
Je m’estime aussi riche et plus heureux qu’un roy.
Ce qu’on tient de Fortune est une fausse pompe