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Que je t’ay moins aimé jadis que ma maistresse.
Aujourd’huy que mon cœur penche à sa guerison,
Comparant ta franchise avec sa trahison,
Ses imperfections avecques ton mérite,
Je crains qu’en m’excusant mon péché ne t’irrite
Depuis que mes regards ont descouvert le jour
Que je me suis osté le bandeau de l’Amour,
Je commence à tout voir d’un différend visage,
Je ramene mes sens à leur premier usage.
Je cognois de ton cœur qu’il vaut mille fois mieux
Que l’esclat de son teint ny les traits de ses yeux.
Damon, j’ay veu depuis d’une claire apparence
Qu’en toy seul j’ay plus d’aise, et d’heur, et d’assurance,
Que je n’en puis trouver dans ces liens honteux,
Où le mal est certain et le plaisir douteux.
En la plus belle ardeur où je puis voir Caliste,
Mon ame y sent tousjours quelque chose de triste ;
Tousjours quelque soupçon rebute mon désir,
Et m’empesche d’y prendre un absolu plaisir.
Dans ces molles fureurs qui m’alloyent rendre infâme.
Certains enchantemens envelopoient mon ame ;
Tous mes sens esgarez prenoient un autre cours,
Desjà je n’avois rien de libre en mes discours ;
Ces plaisirs qu’aime tant nostre commun génie
S’estoient laissé surprendre a ceste tyrannie,
Je ne goustois plus rien qui ne me fust amer.
Tant l’esprit par le corps s’estoit laissé charmer.
Tu m’as veu quelque fois toute la nuict entière
Resver profondement sans aucune matière.
N’as— tu point remarqué diminuer mes sens ?
N’ay-je point fait depuis des vers plus languissans ?
Croy que j’ay bien souffert, et que ceste advanture
Avoit si puissamment estourdy ma nature
Qu’encore un mois ou deux, à force d’endurer.
Mes pauvres sens usez ne pouvoient plus durer.