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Toute sorte de maux, ton esprit les deffie,
Sans besoin du secours de la philosophie.
Mais moy, qui vois mon astre en si mauvais sentier,
Qui ne goustay jamais un seul plaisir entier,
Qui sens que tout me choque et qui ne vois personne
M’assister aux assauts que fortune me donne,
Suis —je pas bien-heureux qu’au fort de mon malheur
Je n’aye ressenty tant soit peu de douleur !
Bien que je sois banny, peu s’en faut, du royaume,
Qu’icy je ne voy plus ny dez, ny jeu de paume,
Je ne voy rien que champs, que rivières, que prez ;
Où le plus doux rozier me peust comme cyprez,
Où je n’ay plus l’aspect de la place Royale,
Où je ne puis aller boire frais en ta salle,
Où mon maistre n’est pas, où ne vient point la cour.
Où je ne sçaurois voir ny toy, ny Liancour,
Je ne sçay comme quoy ma sauvage nature
Peut sans estonnement souffrir ceste avanture.
Mon œil n’a point regret au lieu que j ay laissé,
Mon ame ne plaint point le temps qu’elle a passé.
Au lieu de tant de pompe où la cour vous amuse,
Icy je n’entretiens que Bacchus et la Muse,
Qui tous deux libéraux, avec leurs doux presens,
A leur dévotion tiennent mes jeunes ans.
Innocent que je suis, plein de repos dans l’ame.
Qui tiens indiffèrent qu’on me loue ou me blasme,
Qui fais ce qui me plaist, qui vis comme je veux.
Qui plaindrois au destin le moindre de mes vœux,
Qui ris de la fortune, et, couché dans la boue,
Me mocque des captifs qu’elle attache à sa roue,
Icy comme à la cour j’ay le sort tout pareil,
Et voy couler mes jours sous un mesme soleil.
Que si nostre Silvandre a l’esprit prophétique.
Si les evenemens suivent sa prognostique,
Et que, cet an finy, quelqu’un ait le crédit