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Servant à ton plaisir, m’obligera moy-mesme.
Or, pour le grand dessein où j’engage mes vers,
Il faut que tes destins me soient mieux descouvers,
Que j’entre dans ton ame, et que de là je tire
La matiere du livre où je te veux descrire.
Mon travail sera long, et depuis ton berceau
Possible durera jusques à mon tombeau.
Au rapport de mes vers n’espere pas qu’on croye
Que tu sois descendu du fugitif de Troye :
Car mes inventions, sans prendre rien d’autruy,
Te feront bien sortir d’aussi bon lieu que luy.
Il fut un vagabond, et, quoy qu’on le renomme,
Je ne sçay s’il posa les fondemens de Rome.
Le conte de sa vie est fort vieux et divers :
Virgile par luy-mesme a desmenty ses vers.
Il le depeint devot, et le confesse traistre
Vers l’Amour que leurs Dieux recognoissent pour maistre ;
Mais mon dessein n’est pas d’examiner icy
Les deffauts du Troyen, ny du poëte aussi.
Plaise à Dieu que des miens nos escrivains se taisent,
Et qu’à leur goust tardif mes ardeurs ne desplaisent !
Toutesfois mon renom n’aura que faire d’eux,
Pourveu que mon travail soit au gré de nous deux.
Si mes esprits lassez perdent jamais haleine,
Ton aggreable accueil r’animera ma veine.
En me louant un peu tu me feras plaisir,
Et me reschaufferas d’un plus ardant desir.
Un regard de mespris me rebutte et me lasse,
Et mon sang le plus chaud en devient tout de glace.
Donne-moy du repos, et ne viens point choisir
À mes conceptions les lieux ny le loisir :
Ores j’ayme la ville, ores la solitude,
Tantost la pourmenade, et tantost mon estude.
Bref, si tu ne me tiens pour un fascheux rimeur,
Tu souffriras un peu de ma mauvaise humeur.