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Que par luy ton esprit legerement ne porte.
Quand le poison d’amour t’eust une fois charmé
Contre tout autre effort tu fus assez armé:
Toute autre passion, au prix mousse et légère,
Depuis ne fut en toy que foible et passagère ;
Depuis, pour vivre esclave au joug d’une beauté,
Ton ame ne fut plus qu’amour, que loyauté.
Celle qui gouvernoit ta captive pensée
Dissimuloit le coup dont elle fut blessée;
La honte et le devoir, et ce fascheux honneur,
Ennemis conjurez de tout nostre bonheur,
De contrainctes froideurs desesperoient son ame
Quand ton objet pressant solicitoit sa flame.
En ses regards forcez son amour paroissoit,
Et par la résistance heureusement croissoit.
Tes yeux, dont la fureur avoit changé l’usage,
Languissoient estonnez auprès de son visage,
Son visage et le tien, plus blanc, frais et vermeil
Que le teint de l’Aurore et le front du soleil.
Elle estoit à tes yeux plus agréable encore
Que devant le Soleil ne fut jamais l’Aurore.
Vostre object en son sexe esgalement pouvoit
Se dire le plus beau que la nature avoit,
Et les traicts de ta face, aujourd’huy que l’injure
Du temps qui change tout a changé ta figure,
Uniquement parfaicts, sont punis d’un amour
A qui mille beautez font encore la cour.
Quelle deust estre alors, et combien plus prisée,
Ta face, que le poil n’avoit point déguisée,
En sa jeune vigueur, conforme au jeune object
De la première belle à qui tu fus subject !
Tu meritois beaucoup, et si l’Amour avare
Eust frustré ton espoir, il eust été barbare,
Indigne que jamais à son sacré brasier