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Mais pour cela le front ne me devint point blesme,
Ma voix ne changea point, et son fer inhumain
À me voir si constant luy trembloit à la main.
Encore un accident aussi mauvais ou pire
Me plongea dans le sein du poissonneux empire
Au milieu de la nuict, où le front du croissant,
D’un petit bout de corne à peine apparoissant,
Sembloit se retirer et chasser les tenebres
Pour jetter plus d’effroy dans des lieux si funebres.
Lune, romps ton silence, et, pour me dementir,
Reproche-moy la peur que tu me vis sentir.
Que deus-je devenir un jour que le tonnerre
Presque dessoubs mes pieds vint ballier la terre !
Il brusla mes voisins, il me couvrit de feu,
Et si pour tout cela je le craignis bien peu.
Mais vrayment ce discours te doit sembler estrange.
Et tu vois que ces vers sentent trop ma louange.
Tu m’as mis sur ce train : je te veux imiter.
Et, comme tu l’as faict, j’escris pour me flatter.
Adieu, ne reviens plus soliciter ma veine ;
J’ay faict à ce matin ces vers tout d’une haleine,
Et, pour me divertir du desir de la cour,
Depuis peu j’en escris plus d’autant chasque jour ;
Je finis un travail que ton esprit, qui gouste
Les doctes sentimens, trouvera bon sans doute :
Ce sont les saincts discours d’un favory du Ciel
Qui trouva le poison aussi doux que le miel,
Et qui, dans la prison de la cité d’Athenes,
Vit lascher sans regret et sa vie et ses chaines.
Ainsi, quand il faudra nous en aller à Dieu,
Puissions-nous sans regret abandonner ce lieu,
Et voir en attendant que la fortune m’ouvre
L’ame de la faveur et le portail du Louvre !