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Et qu’un pauvre banny ne croyoit pas avoir
Ceste prosperité que tu m’as faict sçavoir.
Ainsi t’ayme le Ciel, et jamais la disgrace
Ne frappe ton destin ny celuy de ta race !
Si mon mal-heur s’appaise, et qu’il me soit permis
De refaire ma vie avecques mes amis,
Je verray de quel œil tu verras mon passage ;
Et, que ces vers t’en soient un asseuré message,
Possible, avant qu’un mois ayt achevé son cours,
Le soleil me rendra ces agreables jours.
Je croy que ce printemps doit chasser mon orage ;
Mon mauvais sort vaincu flattera mon courage,
Et, perdant tout espoir de m’abatre jamais,
Tout confus il viendra me demander la paix ;
Et quand mon juste roy n’aura plus de cholere,
Qui m’a persecuté taschera de me plaire ;
Lors, pour toute vengeance, et quoy qu’ils ayent tasché,
Je diray, sans mentir, qu’ils ne m’ont point fasché,
Et qu’un exil si plein de danger et de blasme
Ne m’a point faict changer le visage ny l’ame.
Ceux avec qui je vis sont estonnez souvent
De me voir en mon mal aussi gay que devant,
Et le mal-heur, fasché de ne me voir point triste,
Ignore d’où me vient l’humeur qui luy résiste.
C’est l’arme dont le Ciel a voulu me munir
Contre tant d’accidens qui me dévoient venir ;
Autrement un tissu de tant de longues peines
M’eust gelé mille fois le sang dedans les veines.
Mon esprit dès long-temps fust réduit en vapeur
S’il eust pu concevoir une vulgaire peur.
Mon ame de frayeur fust-elle point faillie
Lors que Panat me fit sa brutalle saillie,
Que les armes au poing, accompagné de deux,
Il me fit voir la mort en son teint plus hideux ?
Je croyois bien mourir, il le croyoit de mesme ;