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Je ne veux point unir le fil de mon subject :
Diversement je laisse et reprens mon object.
Mon ame, imaginant, n’a point la patience
De bien polir les vers et ranger la science.
La reigle me desplaist, j’escris confusément :
Jamais un bon esprit ne fait rien qu’aisément.
Autresfois, quant mes vers ont animé la sceine,
L’ordre où j’estois contrainct m’a bien faict de la peine.
Ce travail importun m’a long-temps martyré,
Mais en fin, grâce aux Dieux, je m’en suis retiré.
Peu sans faire naufrage et sans perdre leur ourse
Se sont avanturez à ceste longue course :
Il y faut par miracle estre fol sagement,
Confondre la mémoire avec le jugement.
Imaginer beaucoup, et d’une source plaine
Puiser tousjours des vers dans une mesme veine.
Le dessein se dissipe, on change de propos
Quand le stile a gousté tant soit peu le repos.
Donnant à tels efforts ma première furie,
Jamais ma veine encor ne s’y trouva tarie.
Mais il me faut résoudre à ne la plus presser ;
Elle m’a bien servy : je la veux caresser,
Luy donner du relasche, entretenir la flame
Qui de sa jeune ardeur m’eschauffe encore l’ame.
’Je veux faire des vers qui ne soient pas contraints,
Promener mon esprit par des petits desseins,
Chercher des lieux secrets où rien ne me desplaise,
Méditer à loisir, resver tout à mon aise,
Employer toute une heure à me mirer dans l’eau,
Ouyr, comme en songeant, la course d’un ruisseau,
Escrire dans le bois, m’interrompre, me taire,
Composer un quatrain sans songer à le faire.
Après m’estre esgayé par ceste douce erreur.
Je veux qu’un grand dessein reschauffe ma fureur ;
Qu’un œuvre de dix ans me tienne à la contraincte