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A versé son venin dans le sein de la France.
Aujourd’huy l’injustice a vaincu la raison.
Les bonnes qualitez ne sont plus de saison,
La vertu n’eust jamais un siècle plus barbare,
Et jamais le bon sens ne se trouva si rare.
Celuy qui dans les cœurs met le mal ou le bien
Laisse faire au destin sans se mesler de rien :
Non pas que ce grand Dieu qui donne l’ame au monde
Ne trouve à son plaisir la nature féconde,
Et que son influence encore à plaines mains
Ne verse ses faveurs dans les esprits humains :
Parmy tant de fuseaux la Parque en sçait retordre
Où la contagion du vice n’a sceu mordre,
Et le ciel en faict naistre encore infinité
Qui retiennent beaucoup de la divinité,
Des bons entendemens qui sans cesse travaillent
Contre l'erreur du peuple, et jamais ne défaillent,
Et qui, d’un sentiment hardy, grave et profond,
Vivent tout autrement que les autres ne font.
Mais leur divin génie est forcé de se feindre.
Et les rend malheureux s’il ne se peut contraindre ;
La coustume et le nombre authorise les sots :
Il faut aymer la cour, rire des mauvais mots ;
Acoster un brutal, luy plaire, en faire estime,
Lors que cela m’advient, je pense faire un crime.
J’en suis tout transporté, le cœur me bat au sein ;
Je ne croy plus avoir l’entendement bien sain.
Et, pour m’estre souillé de cest abord funeste.
Je croy long-temps après que mon ame a la peste.
Cependant il faut vivre en ce commun malheur,
Laisser à part esprit et franchise et valeur,
Rompre son naturel, emprisonner son ame
Et perdre tout plaisir pour acquérir du blasme.
L’ignorant qui me juge un fantasque resveur.
Me demandant des vers, croit me faire faveur ;