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STANCES.


La frayeur de la mort esbranle le plus ferme ;
Il est bien mal-aisé
Que, dans le desespoir et proche de son terme,
L’esprit soit appaisé.
L’ame la plus robuste et la mieux preparée
Aux accidens du sort,
Voyant auprès de soy sa fin toute asseurée,
Elle s’estonne fort.
Le criminel pressé de la mortelle crainte
D’un supplice douteux
Encore avec espoir endure la contrainte
De ses liens honteux.
Mais, quand l’arrest sanglant a resolu sa peine
Et qu’il voit le bourreau,
Dont l’impiteuse main luy detache une chaine
Et luy met un cordeau,
Il n’a goutte de sang qui ne soit lors glacée ;
Son ame est dans les fers ;
L’image du gibet luy monte à la pensée,
Et l’effroy des enfers.
L’imagination de cet objet funeste
Luy trouble la raison,
Et, sans qu’il ait du mal, il a pis que la peste
Et pis que le poison.
Il jette malgré luy les siens dans sa destresse
Et traine en son malheur
Des gens indifferens, qu’il voit parmy la presse
Pasles de sa douleur.
Par tout dedans la Greve il voit fendre la terre ;
La Seine est l’Acheron ;
Chaque rayon du jour est un traict de tonnerre,