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STANCES.


Quand tu me vois baiser tes bras,
Que tu poses nuds sur tes draps,
Bien plus blancs que le linge mesme ;
Quand tu sens ma bruslante main
Se pourmener dessus ton sein,
Tu sens bien, Cloris, que je t’ayme.

Comme un devot devers les cieux,
Mes yeux tournez devers tes yeux,
À genoux auprès de ta couche,
Pressé de mille ardens desirs,
Je laisse sans ouvrir ma bouche
Avec toy dormir mes plaisirs.

Le sommeil, aise de t’avoir,
Empesche tes yeux de me voir
Et te retient dans son empire
Avec si peu de liberté
Que ton esprit tout arresté
Ne murmure ny ne respire.

La rose en rendant son odeur,
Le soleil donnant son ardeur,
Diane et le char qui la traine,
Une Naïade dedans l’eau,
Et les Graces dans un tableau,
Font plus de bruict que ton haleine.

Là, je souspire auprès de toy,
Et, considerant comme quoy
Ton œil si doucement repose,
Je m’ecrie : Ô Ciel ! peux-tu bien
Tirer d’une si belle chose
Un si cruel mal que le mien !