Page:Viau - Œuvres complètes, Jannet, 1856, tome 1.djvu/316

Cette page a été validée par deux contributeurs.
176
La Solitude

LA SOLITUDE.

ODE.


Dans ce val solitaire et sombre,
Le cerf, qui brame au bruit de l’eau,
Panchant ses yeux dans un ruisseau,
S’amuse à regarder son ombre.

De ceste source une Naiade
Tous les soirs ouvre le portal
De sa demeure de crystal,
Et nous chante une serenade.

Les nymphes que la chasse attire
À l’ombrage de ces forests
Cherchent des cabinets secrets,
Loin de l’embusche du satyre.

Jadis au pied de ce grand chesne,
Presque aussi vieux que le soleil,
Bacchus, l’Amour et le Sommeil,
Firent la fosse de Silene.

Un froid et tenebreux silence
Dort à l’ombre de ces ormeaux,
Et les vents battent les rameaux
D’une amoureuse violence.

L’esprit plus retenu s’engage
Au plaisir de ce doux sejour,
Où Philomele nuit et jour
Renouvelle un piteux langage.

L’orfraye et le hibou s’y perche ;
Icy vivent les loup-garous ;
Jamais la justice en courroux
Icy de criminels ne cherche.

Icy l’amour faict ses estudes ;
Venus y dresse des autels ;