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hommes sont foibles et divers par tout, principalement à la cour, où les amitiez ne sont que d’interest ou de fantaisie : le merite ne se juge que par la prosperité, et la vertu n’a point d’esclat que dans les ornemens du vice ; l’eloquence n’a plus de grace qu’à persuader la liberté et les mauvaises mœurs ; la pointe et la facilité de l’esprit ne paroist plus qu’à mesdire ; estre habile, c’est bien trahir. La raison est incogneue, la religion encore plus ; le roy ne void que des revoltes, Dieu n’entend que des impietez, tant le siecle est maudit du ciel et de la terre ; les gens de lettre ne sçavent rien, la pluspart des juges sont criminels : passer pour honneste homme, c’est ne l’estre point. Dans ce rebours de toutes choses, j’ay de l’obligation à mes infamies, qui, au vray sens, se doivent apeller des faveurs de la Renommée. Sur ceste foy, je ne changeray ny mon nom, ny mes pensées, et veux sortir sans masque devant les plus rigoureux censeurs des escholes les plus chrestiennes. Je ne sçache ny latin, ny françois, ny vers, ny prose, qui redoute la presse ny la lecture des plus delicats. Je parle pour la conscience : car, du stile et de l’imagination, je ne suis ny fort ny presomptueux ; et ceste publication est plustost de l’humilité de mon ame que de la vanité de mon esprit.

THEOPHILE.