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vi miles de lonc et de lé. En mi estoit li chemins de Saint Jaque qui les ii oz devisoit ; et quant Aygolant fu devant Karlemaine venuz, il li dist en tel maniere :

« Es-tu Aygolant qui ma terre m’as tolue par tricherie et par desloiauté ? Je avoie conquise Gascogne et Espagne par l’aide Nostre Seigneur et les avoie converties à la foi crestiene, les rois et les princes sozmis à ma segneurie et à mon empire, et tu as les crestiens occis, mes citez et mes chastiaus pris et toute la terre degastée par feu et par occision tandis come je estoie retornez en France ; pour laquel chose, je me duel moult durement. »

Quant Aygolant entendi que Karlemaines parloit à li en Arabie, il se merveilla moult, et moult fu liez, car Karlemaines avoit apris langue sarrazinoise en la cité de Tholete où il demora une partie du tens dès s’enfance[1]. Lors respondi Aygolant :

« Je te pri », dist-il, « que tu me dies tant pourquoi tu as tolue la terre à nostre gent qui pas ne te vient par heritage ; car tes peres, ne tes aiex, ne tes besaiex, ne nus de ton lignage ne l’atindrent ainques. »

Et Karlemaines li respondi :

« Pour ce disons-nous que la terre est nostre, que Nostre Sires Jhesu Criz, crierres du ciel et de la terre, a esleue nostre gent crestiene sor toutes autres et a establi qu’ele soit dame et maistresse de tout le monde ; et pour ce, ai-je convertie ta gent sarrazine à nostre foi tant com je poi. »

  1. Ms. S. G. : s’esfance. Allusion au séjour que, d’après la légende, Charlemagne aurait fait en Espagne pendant son enfance ; chez le roi sarrasin Galafre, sous le nom de Mainet (Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 230). Cf. Léon Gautier, les Épopées françaises, 2e éd., t. III, p. 37 et suiv.