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LA NOUVELLE ÉQUIPE

— Léon et Maurice Bournef, et vous, Mesdames, dit Jacques Bourdeau en rompant le pain, vous ne savez pas quel bien votre visite m’a fait. Voyez-vous on a tellement l’impression de se débattre tout seul, de sombrer dans l’indifférence générale, on a tellement aussi le sentiment que les intellectuels comme vous se désintéressent des humbles que nous sommes, que votre présence ici, aujourd’hui, est le meilleur viatique que je pouvais emporter avec moi demain.

— Oui ajouta Léon, pensif, c’est parce que la fraternité et la solidarité humaines ne sont pas comprises, que des coups de force comme celui-ci peuvent s’accomplir.

— Pourtant, Monsieur, dit la vieille mère, qui jusque-là était restée silencieuse, quand on attaque le pays il faut bien le défendre.

— Mais on ne l’attaque pas, protesta Jeanne.

— Si on appelle les hommes à l’armée, c’est bien tout de même qu’on craint quelque chose, poursuivit la vieille. Ceux qui gouvernent en savent plus que nous. Alors, il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard, n’est-ce pas ? et il faut bien prendre un fusil pour chasser les ennemis.

Ils ne répondirent pas. Écho de sa génération, la vieille femme n’exprimait-elle pas là l’unanime opinion de tous ceux qui partaient, convaincus qu’il fallait partir, les uns animés de l’élan patriotique, les autres sans enthousiasme, mais résignés à ce qu’ils étaient habitués à considérer comme le devoir suprême ?

Jacques Bourdeau résuma leur pensée à tous :

— On ne remonte pas le courant aussi facilement qu’on le descend, dit-il. Depuis quarante ans on attend la revanche, il fallait bien qu’elle vienne. On y voit clair trop tard, et trop peu y voient clair. L’engrenage nous prend, et nous n’y pouvons rien.

Jeanne Bournef se rappelait les paroles de Louis