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LA NOUVELLE ÉQUIPE

— Lorget a raison, dit pensivement Jacques Bourdeau.

Il y eut un court silence, puis Marcel Lenoir se leva.

— Allons, dit-il, ne prolongeons pas cette discussion, Maurice et Léon Bournef, je suis venu vous faire mes adieux. Je pars mardi.

— Moi aussi, dit René Lorget.

— Et moi mercredi, ajouta Bourdeau. Ah ! ça n’est pas gai, chez nous. Il y a trois enfants, l’aîné a neuf ans et le dernier a six mois.

— Mon vieux Bourdeau, fit Lenoir avec amertume, crois-tu que nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne ? Moi, j’ai une petite fille de trois ans et ma femme est enceinte.

— La mienne aussi, ajouta René Lorget, marié seulement de l’année précédente.

Les fronts à présent étaient sombres. Chacun songeait à l’arrachement tout proche.

Seul le jeune sculpteur avait gardé son regard confiant.

— Pour moi, dit-il, je ne laisse pas de descendants dans l’embarras. Je devais me marier en septembre. Mais je ne désespère pas encore de le pouvoir. J’ai la conviction que nous n’aurons pas la guerre. Je vous ai bien écoutés tous ; mais c’est plus fort que moi, je ne puis voir les choses sous la couleur où vous les voyez. Je pars demain, moi, mais je suis presque certain d’être bientôt de retour.

Jeanne Bournef, qui avait suivi en silence toute cette longue conversation, se leva de son siège, et s’avança vers le sculpteur :

— Ah ! Benjamin, dit-elle d’une voix vibrante, puissiez-vous dire vrai. Mais voyez-vous il y aurait une certitude de retour plus grande encore, une certitude à laquelle vous n’avez pensé ni les uns ni les autres : ce serait de ne pas partir.