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LA NOUVELLE ÉQUIPE

de moi qu’en ce moment vous n’êtes pas heureux. Et puisque je suis votre aînée, — oh ! pas de beaucoup sans doute, mais votre aînée tout de même — je prends les devants. Je veux que ce malentendu cesse. Je veux vous dire que vous êtes un vaillant que j’estime ; et que j’aime, ajouta-t-elle plus bas.

— Henriette…

— Je veux vous dire que j’admire toute votre vie, votre courage tranquille, votre opiniâtre labeur. Pas un héros, vous ? Mais on est un héros à sa manière. Vous n’avez pas pris l’attitude de Pierre, vous en avez prise une autre. Vous allez partir au régiment comme un simple fils du peuple. Je sais par mon frère que, toute cette année, vous avez refusé de vous rendre à la préparation militaire. Vous repoussez les distinctions qu’on vous offre ; à la vie facile, aux avantages offerts aux élèves officiers, vous préférez la rude vie de la caserne, les contacts avec les jeunes recrues, la communauté de la table, du dortoir, des besognes vulgaires. Vous qui êtes un intellectuel, un lettré, qui aimez toutes les manifestations de l’esprit, vous allez être journellement mêlé à de pauvres garçons incultes ou bornés, et soumis à l’autorité de sous-officiers ignorants ou brutes. Et vous choisissez cela pour affirmer, vous aussi, votre foi humaine et la liberté de votre conscience. Vous n’acceptez pas d’être délivré seul, vous entendez rester avec ceux qui doivent subir toute la rigueur de ce militarisme que par ailleurs vous combattez. Et ce faisant vous le combattez encore. J’affirme moi, que vous donnez là le témoignage d’une belle force morale, qu’on ne comprendra guère et qu’on ne louangera pas. Et cependant vous n’auriez qu’un geste à faire pour qu’on soit tout heureux de vous admettre, vous, Jean Tissier, agrégé de philosophie, aux honneurs du commandement. Et vous dites que vous n’êtes pas un héros ?