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LA NOUVELLE ÉQUIPE

Presque tous ici, vous êtes des jeunes. Vous avez à peu près l’âge de mon fils, à l’exception de quelques anciens que je connais bien, et qui ne me contrediront pas. Vous n’avez pas connu la dernière guerre. Vous étiez encore des enfants. Moi, je l’ai vécue toute entière et je peux vous en parler. Et les paroles que je vais vous dire, croyez que je ne suis pas seule à les prononcer. Mon cher Maurice est en ce moment près de moi, et sa pensée est unie à la mienne.

Tout à l’heure, Alexandre Didier vous a dit que si la France n’avait pas mobilisé en 1914, la guerre eût été impossible. C’est une vérité absolue. Mais ce n’est pas une vérité seulement parce que la mobilisation indique à l’adversaire que la nation accepte la guerre. C’est une vérité parce que, lorsque la mobilisation est décrétée, il n’y a plus de consciences libres. L’affolement s’empare des esprits, on ne sait plus où est la vérité. On doute de tout et de soi-même, et plus on veut raisonner, plus on s’enlise. Croyez-moi, je le sais. J’ai été témoin des luttes morales, des déchirements de conscience, de mon cher mari et de son frère. J’ai compris le désarroi et la panique des travailleurs, et mon vieil ami Bourdeau en donnera comme moi le témoignage. La mobilisation c’est l’arrêt de la pensée, c’est le renoncement, par les individus, à tout ce qui les fait hommes. S’il n’en était pas ainsi, la guerre ne se pourrait pas. Car si c’est l’armée qui permet de réaliser la guerre, il ne faut pas oublier que ce sont les hommes qui forment l’armée. S’ils ne répondaient pas à l’appel de la mobilisation, la force de l’armée serait par cela même détruite. C’était ce que comprenaient les travailleurs, avant 1914, quand ils disaient qu’à la mobilisation ils répondraient par la grève générale. Ils n’avaient oublié qu’une chose : l’emprise formidable, sur les esprits, d’une éducation commencée à la naissance et continuée pendant toute la vie des individus. Personne n’était capable d’y résis-