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LA NOUVELLE ÉQUIPE

fiques qu’on ne le pense. Pendant que nos deux braillards de ce soir répandaient à profusion le sang bourgeois dans leurs discours, il y avait partout, dans les petits logements parisiens, et dans les calmes foyers des campagnes, de très braves gens qui ne pensaient qu’à la joie du repos après le travail, au plaisir d’être avec leurs enfants et leurs familles. Il y avait des promeneurs, comme nous en ce moment, des couples d’amoureux, des amateurs de musique qui s’en allaient au concert, des studieux qui lisaient, des causeurs qui discutaient. Mais tous ceux-là on ne les voit pas. Ils ne font pas de déclamations en public, et ne viennent pas applaudir les orateurs sanguinaires. Alors, parce qu’ils ne se montrent pas, on ignore leur existence.

— Comme c’est vrai, ce que vous dites, approuva Jeanne.

— Pourtant, dit Jean, il suffit de deux braillards comme ceux-là pour monter la tête à tous les braves gens, et les enrôler tantôt dans un camp, tantôt dans un autre.

— Mon cher ami, c’est précisément notre travail, à nous qui essayons d’y voir un peu plus clair, d’éclairer un peu mieux les lanternes. Au lieu de discutailler avec tous les prêcheurs de systèmes, adressons-nous directement à ces braves gens qui nous intéressent. Il ne faut pas croire que la raison et le bon sens sont l’apanage des seuls philosophes.

Jeanne répondit :

— Il y a un grand bon sens dans le peuple, Monsieur Didier, je suis tout à fait de votre avis ; mais voyez-vous le peuple n’a pas assez confiance en lui-même. Dans la question de la paix et de la guerre, il est persuadé qu’il ne peut rien. À la mobilisation de 1914, c’était le refrain général.

— C’est pourquoi le meilleur travail est de faire naître cette confiance, en montrant aux individus les