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LA NOUVELLE ÉQUIPE

Si bien qu’à l’heure où nous avons fait sa connaissance, Alexandre Didier était un charmant garçon, spirituel et élégant, correct et bien élevé ; mais parfaitement égoïste et au demeurant ignorant de ce que peuvent être les misères matérielles et les souffrances morales. Cependant, il y avait en lui des qualités de courage et de générosité qui s’ignoraient, n’ayant jamais été mises en valeur, n’ayant jamais eu à se manifester. Et, pour la première fois, elles avaient jailli à l’annonce de l’attaque allemande.

Quand M. Didier père, qui n’était pas mobilisable, ayant atteint la cinquantaine, reçut la déclaration d’Alexandre, il en ressentit un subit orgueil. Sa vie à lui avait été si terne, si étroite, — une vie toute plate de fonctionnaire bien sage — qu’il se sentait soudain grandi par le geste héroïque de son fils. Toute sa foi patriotique en fut exaltée, et il retrouva, pour les citer, les belles pensées et les vers fameux d’auteurs classiques et d’écrivains connus. Mme Didier, d’abord alarmée, finit par partager l’ardeur de son mari, et son Alexandre lui parut auréolé d’une lumière soudaine qui attendrissait son cœur. C’est ainsi que le jeune homme partit, béni et glorifié, dans une certitude de retour qu’aucun des trois n’avait mise en doute.

Mais le désenchantement ne tarda guère. Alexandre était parti grisé d’images chevaleresques ; la caserne le ramena vite à la réalité. Quatre mois de préparation militaire, d’exercices, de discipline, de brimades, se chargèrent de refroidir le beau zèle de l’enfant gâté. Lorsqu’en janvier, il fut envoyé au front, son enthousiasme d’août était loin. L’armée, à ses yeux, avait déjà perdu son prestige. Après six mois de front, il l’avait prise en horreur. En octobre 1915, à l’offensive de Champagne, il fut assez grièvement blessé à la tête ; mais sa nature robuste le remit rapidement sur pied, aussi valide qu’au premier jour. Seule, une balafre,