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LA NOUVELLE ÉQUIPE

Une lettre d’Arras, du 4 mars, faisait un bref récit d’ennuis de tout ordre, puis une autre, du 8 mars, expédiée d’Avion, disait qu’il s’était occupé sans succès d’une méprise judiciaire dont un pauvre diable avait été victime. Il n’avait pu se faire entendre, et s’était fait traiter de fou par dessus le marché.

« Je remarque, disait-il, que c’est là un système fréquemment employé. Que quelqu’un exprime une vérité, réclame justice, signale une erreur, on le traite tout de suite de fou. Cela dispense d’examen, et rassure ceux qui pourraient être troublés dans leur repos. L’ignorance n’est pas seule à faire du mal, la paresse l’aide grandement. »

À la fin de cette lettre, il faisait une description de la route :

« Aujourd’hui, j’ai marché avec un beau soleil. J’ai traversé de beaux pays, des vallons boisés, peu boisés il est vrai, car tout a été rasé par les obus et la scie. Mais la nature a pardonné. De jeunes pousses sont nées sur les souches meurtries, et on ne saurait plus que la guerre a passé par là, s’il n’y avait partout des trous d’obus, des bidons abandonnés, des grenades, les lignes encore visibles des tranchées… »

Le lendemain, nouvelle lettre :

« J’ai voulu voir Notre-Dame-de-Lorette en passant. Cent mille morts et plus sont tombés sur ce coin de terre, dans ces bois, au creux des vallons silencieux, car le silence est maintenant complet sur cette terre de mort désertée par les oiseaux. Partout des arbres déchiquetés, troncs arrachés, têtes décapitées. Mais la nature, là aussi, a pardonné. Le taillis jeune et frais a poussé autour des aînés morts et des grands blessés. Les jeunes pousses s’élancent vers les troncs décharnés comme autant de bras ouverts ; bientôt elles les entoureront, les dépasseront, et les berceront, aidées par le vent qui doucement fera chanter les branches.