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LA NOUVELLE ÉQUIPE

questions coloniales extra-européennes, tant que les intérêts vitaux de la France ne seraient pas touchés. »

Le Colonel replia son manuscrit.

— Les voyez-vous, à présent, les deux compères. Passe-moi le séné et je te donnerai la rhubarbe, dit la légende populaire. Hélas ! ils ont été servis. Oui, tout cela s’éclaire à présent. Rappelons-nous notre incrédulité, en 1914, à l’égard des possibilités de guerre. Nous disions : il n’est pas possible qu’on se batte pour le conflit austro-serbe. Nous disions encore : les intérêts russes, dans les Balkans, cela ne nous intéresse pas. Poincaré le savait bien, qu’on ne nous ferait pas accepter la guerre avec ces arguments-là. Il savait bien que, pour faire marcher le peuple de France, il fallait lui parler du militarisme allemand et de l’Alsace-Lorraine à reconquérir. De son côté, le ministre du Tsar savait qu’il serait difficile d’arguer des intérêts de la France au Maroc pour faire accepter la guerre au peuple russe. Il fallait mettre l’Allemagne dans la partie. Ce n’était pas difficile, étant donné qu’on connaissait l’esprit belliqueux du Kaiser. Il suffisait de lui échauffer les oreilles. Tout fut mis en œuvre pour cela. La loi de trois ans, la campagne de presse pour laquelle les fonds secrets russes versèrent une première fois 100.000, une seconde fois encore 100.000 francs. Le ton martial de notre presse devint alors une provocation permanente pour l’étranger, en même temps qu’une excitation des sentiments patriotiques des Français. Et voilà, mon cher général, comment on croit partir pour défendre son pays menacé, alors qu’on est tout simplement poussé, en aveugle, dans des combinaisons louches et intéressées dont les buts sont inavouables.

Le général ne répondit pas. Maurice eut un rire douloureux.

— Oui, dit-il, le livret était assez bien machiné. Le malheur c’est qu’il fallait des millions d’acteurs, et