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LA NOUVELLE ÉQUIPE

— En le méprisant, papa ?

— Mon fils, prends garde de juger trop vite. La guerre a passé sur nous, et ses ravages sont aussi divers qu’ils sont immenses. Elle n’a pas seulement attenté à la vie, elle a porté atteinte à la conscience. Elle a éveillé des cupidités malsaines, et par les ambitions qu’elle a fait naître, elle a ruiné toute loi morale au cœur des hommes. Témoin ce frère qui, pour devenir un enrichi comme les autres, n’a pas craint de dépouiller son frère malheureux. Mais le plus triste, c’est qu’il s’est cru en droit de le faire, peut-être. C’est tellement élastique, le droit, et cela peut recouvrir parfois tant de turpitudes…

Il se tut, puis ajouta avec mélancolie.

— Le droit… c’est en son nom qu’on nous a fait accepter la guerre… et nous sommes morts, et nous mourons tous les jours, pour qu’on puisse dire que nous avons sauvé l’honneur et la justice. Voici maintenant les résultats.

Jeanne en mettant un baiser sur le front du malade, l’avait fait taire. Elle redoutait toujours les accès de mélancolie qui ne lui valaient rien.

— Songeons à nos enfants, Maurice, avait-elle coutume de dire pour apaiser ses rancœurs.

Pour permettre aux amis de son fils un séjour plus long, Jeanne les avait invités à déjeuner, et avait convié, en même temps, Jacques Bourdeau et son fils.

— Ce sera un déjeuner d’anciens combattants avait dit Maurice en matière de plaisanterie.

Avant qu’on se mît à table, Jeanne voulut présenter à Jean et Hélène, son beau-frère et sa belle-sœur. Les deux jeunes gens connaissaient, par Pierre, la triste histoire du peintre aveugle, mais lorsqu’ils le virent s’avancer, appuyé sur le bras d’Éliane, ils furent tous les deux envahis par une émotion qu’ils ne purent surmonter. Fortement impressionné, Jean ne sut pas