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LA NOUVELLE ÉQUIPE

Creuse dont la vieille femme avait parlé à Jeanne Bournef, et, restée seule à Paris avec son aîné, elle s’était décidée à entrer dans une usine de métallurgie de Saint-Denis. C’était la branche la plus productive. Mais c’était, pour les femmes, un travail mortel. Épuisement du système nerveux, anémie, maladies du cœur et des organes féminins en étaient les conséquences ordinaires. La femme de Jacques Bourdeau n’y résista pas. En mars 1918 elle succombait, tuée par une phtisie galopante. Quand le charpentier en fer revint, ayant lui-même été blessé à la face, c’était des ruines qu’il trouvait également à son foyer. Il avait laissé dans la Creuse sa fillette et le plus petit, et s’était attaché à sauver son fils de l’existence d’atelier qui guettait les écoliers de la treizième année. Il y avait alors, pour la métallurgie, une prédilection marquée dans les familles ouvrières. Presque tous les parents y poussaient leurs enfants, les mères surtout y portaient toute leur ambition.

— Voyez-vous, avait dit l’une d’elles, on ne sait point ce que sera l’avenir. Alors, si le garçon est dans la métallurgie, cela le préserverait peut-être d’aller au front si une guerre revenait.

C’était là une opinion générale. Chacun pensait à soi, sans songer à la force qu’il apportait ainsi à la plus redoutable alliée de la guerre.

Jacques Bourdeau, lui, avait échappé à cet état d’esprit. Son fils était entré à l’école Estienne, y avait fait de bonnes études et s’y préparait à la lithographie. Toujours bien accueilli chez les Bournef, il aimait y venir avec son Robert, dont il était fier, et que Jeanne guidait maternellement dans sa formation littéraire.

Le charpentier en fer avait rapporté de la guerre un découragement profond. Le désir de faire à son fils une existence intéressante l’avait heureusement sauvé du pessimisme et de l’inaction. Il était retourné vers