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LA NOUVELLE ÉQUIPE

Léon. Les deuils et revers successifs qui avaient frappé ses trois enfants avaient rendu l’ancien instituteur taciturne et solitaire. Il se confinait dans ses occupations agricoles, sortait peu, se refusait même à lire les journaux.

— Pourquoi faire, disait-il, pour y trouver tous les jours des raisons de révolte ? Les journaux nous ont menés à la guerre, et à présent ils veulent nous persuader que c’était bien et que nous devons applaudir leur sinistre plaisanterie. Il n’y en a pas un qui soit sincère. Ils sont tous prêts, moyennant finance, à nous duper encore.

Cette rancœur continuelle rendait sa société pénible. C’était ce qui avait décidé Jeanne à faire à Éliane la proposition de se fixer à Ville-d’Avray, car elle comprenait l’impossibilité morale qu’il y avait, pour la jeune femme, à rester près de son père. Malgré la tristesse entrée dans sa vie avec l’infirmité de son mari, Éliane n’en avait pas moins besoin d’activité, de vie affective, d’occupations intéressantes. Elle trouvait tout cela près de Maurice et de Jeanne, et l’atmosphère d’affection qui l’entourait lui rendait l’existence plus supportable.

Entre ces deux ménages, si durement éprouvés, passait parfois une silhouette de sombre désolation : celle de Louise Bournef. La veuve de Léon, murée à jamais dans son deuil, ne vivait que parce que son fils était là et qu’il était sa raison de vivre. Elle avait voué à la guerre, à tout ce qui en était l’image ou le témoignage, une haine implacable. Elle ne pouvait pas supporter la présence du général Delmas, et la crainte de le rencontrer l’empêchait souvent de venir à Ville-d’Avray. Elle avait renvoyé au Ministre la Croix de Guerre qu’on avait cru devoir lui adresser après la mort de Léon. Elle avait refusé la pension des veuves de guerre, « cet affront à la douleur des épouses »