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LE DÉSERT DE GLACE

— Oui, il se tient à un mille sous le vent.

— Et vous ne m’avez pas prévenu, Johnson ?

— À quoi bon ?

— C’est juste, fit le docteur ; nous n’avons pas une seule balle à lui envoyer.

— Ni même un lingot, un morceau de fer, un clou quelconque ! » répondit le vieux marin.

Le docteur se tut et se prit à réfléchir. Bientôt il dit au maître d’équipage :

« Vous êtes certain que cet animal nous suit ?

— Oui, monsieur Clawbonny, il compte sur un repas de chair humaine ! il sait que nous ne pouvons pas lui échapper !

— Johnson ! fit le docteur, ému de l’accent désespéré de son compagnon.

— Sa nourriture est assurée, à lui ! répliqua le malheureux, que le délire prenait ; il doit être affamé, et je ne sais pas pourquoi nous le faisons attendre !

— Johnson, calmez-vous !

— Non, monsieur Clawbonny ; puisque nous devons y passer, pourquoi prolonger les souffrances de cet animal ? Il a faim comme nous ; il n’a pas de phoque à dévorer ! Le ciel lui envoie des hommes ! eh bien, tant mieux pour lui ! »

Le vieux Johnson devenait fou ; il voulait quitter la maison de glace. Le docteur eut beaucoup de peine à le contenir, et, s’il y parvint, ce fut moins par la force que parce qu’il prononça les paroles suivantes avec un accent de profonde conviction :

« Demain, dit-il, je tuerai cet ours !

— Demain ! fit Johnson, qui semblait sortir d’un mauvais rêve.

— Demain !

— Vous n’avez pas de balle !