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LE DÉSERT DE GLACE

et, à son grand étonnement, l’attelage s’en fit un véritable régal ; le vieux marin, tout joyeux, apprit cette particularité au docteur.

Celui-ci n’en fut aucunement surpris ; il savait que dans le nord de l’Amérique les chevaux font du poisson leur principale nourriture, et de ce qui suffisait à un cheval herbivore, un chien omnivore pouvait se contenter à plus forte raison.

Avant de s’endormir, bien que le sommeil devînt une impérieuse nécessité pour des gens qui s’étaient traînés pendant quinze milles sur les glaces, le docteur voulut entretenir ses compagnons de la situation actuelle, sans en atténuer la gravité.

« Nous ne sommes encore qu’au quatre-vingt-deuxième parallèle, dit-il, et les vivres menacent déjà de nous manquer !

— C’est une raison pour ne pas perdre un instant, répondit Hatteras ! Il faut marcher ! les plus forts traîneront les plus faibles.

— Trouverons-nous seulement un navire à l’endroit indiqué ? répondit Bell, que les fatigues de la route abattaient malgré lui.

— Pourquoi en douter ? répondit Johnson ; le salut de l’Américain répond du nôtre. »

Le docteur, pour plus de sûreté, voulut encore interroger de nouveau Altamont. Celui-ci parlait assez facilement, quoique d’une voix faible ; il confirma tous les détails précédemment donnés ; il répéta que le navire, échoué sur des roches de granit, n’avait pu bouger, et qu’il se trouvait par 120° 15′ de longitude et 83° 35′ de latitude.

« Nous ne pouvons douter de cette affirmation, reprit alors le docteur ; la difficulté n’est pas de trouver le Porpoise, mais d’y arriver.

— Que reste-t-il de nourriture ? demanda Hatteras.

— De quoi vivre pendant trois jours au plus, répondit le docteur.

— Eh bien, il faut arriver en trois jours ! dit énergiquement le capitaine.

— Il le faut, en effet, reprit le docteur, et si nous réussissons, nous ne devrons pas nous plaindre, car nous aurons été favorisés par un temps exceptionnel. La neige nous a laissé quinze jours de répit, et le traîneau a pu glisser facilement sur la glace durcie. Ah ! que ne porte-t-il deux cents livres d’aliments ! nos braves chiens auraient eu facilement raison de cette charge ! Enfin, puisqu’il en est autrement, nous n’y pouvons rien.

— Avec un peu de chance et d’adresse, répondit Johnson, ne pourrait-on pas utiliser les quelques charges de poudre qui restent ? Si un ours tombait en notre pouvoir, nous serions approvisionnés de nourriture pour le reste du voyage.