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LES ANGLAIS AU POLE NORD

donner mes projets ! Aussi ces gens ne murmurent pas, et, tant que le Forward aura le cap au sud, il en sera de même. Les fous ! ils s’imaginent qu’ils se rapprochent de l’Angleterre ! Mais si je parviens à remonter au nord, vous verrez les choses changer ! Je jure pourtant que pas un être vivant ne me fera dévier de ma ligne de conduite ! Un passage, une ouverture, de quoi glisser mon brick, quand je devrais y laisser le cuivre de son doublage, et j’aurai raison de tout. »

Les désirs du capitaine devaient être satisfaits dans une certaine proportion. Suivant les prévisions du docteur, il y eut un changement soudain pendant la soirée ; sous une influence quelconque de vent, de courant ou de température, les ice-fields vinrent à se séparer ; le Forward se lança hardiment, brisant de sa proue d’acier les glaçons flottants ; il navigua toute la nuit, et le mardi, vers les six heures, il débouqua du détroit de Bellot.

Mais quelle fut la sourde irritation d’Hatteras en trouvant le chemin du nord obstinément barré ! Il eut cependant assez de force d’âme pour contenir son désespoir, et, comme si la seule route ouverte eût été la route préférée, il laissa le Forward redescendre le détroit de Franklin ; ne pouvant remonter par le détroit de Peel, il résolut de contourner la terre du Prince-de-Galles, pour gagner le canal Mac-Clintock. Mais il sentait bien que Shandon et Wall ne pouvaient s’y tromper et savaient à quoi s’en tenir sur son espérance déçue.

La journée du 6 juin ne présenta aucun incident ; le ciel était neigeux, et les pronostics du halo s’accomplissaient.

Pendant trente-six heures, le Forward suivit les sinuosités de la côte de Boothia, sans parvenir à se rapprocher de la terre du Prince-de-Galles ; Hatteras forçait de vapeur, brûlant son charbon avec prodigalité ; il comptait toujours refaire son approvisionnement à l’île Beechey ; il arriva le jeudi à l’extrémité du détroit de Franklin, et trouva encore le chemin du nord infranchissable.

C’était à se désespérer ; il ne pouvait plus même revenir sur ses pas ; les glaces le poussaient en avant, et il voyait sa route se refermer incessamment derrière lui, comme s’il n’eût jamais existé de mer libre là où il venait de passer une heure auparavant.

Ainsi, non-seulement le Forward ne pouvait gagner au nord, mais il ne devait pas s’arrêter un instant, sous peine d’être pris, et il fuyait devant les glaces, comme un navire fuit devant l’orage.

Le vendredi 8 juin, il arriva près de la côte de Boothia, à l’entrée du détroit de James Ross, qu’il fallait éviter à tout prix, car il n’a d’issue qu’à l’ouest et aboutit directement aux terres d’Amérique.

Les observations faites à midi sur ce point donnèrent 70° 5′ 17″ pour la latitude