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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

— Voyons, Hatteras, dit le docteur, en l’interrompant à dessein ; nous ne sommes encore qu’au 5 juin ; ne nous désespérons pas ; un passage soudain peut s’ouvrir devant nous ; vous savez que la glace a une tendance à se séparer en plusieurs blocs, même dans les temps calmes, comme si une force répulsive agissait entre les différentes masses qui la composent ; nous pouvons donc d’une heure à l’autre trouver la mer libre.

— Eh bien, qu’elle se présente, et nous la franchirons ! Il est très-possible qu’au delà du détroit de Bellot nous ayons la facilité de remonter vers le nord par le détroit de Peel ou le canal de Mac-Clintock, et alors…

— Capitaine, vint dire en ce moment James Wall, nous risquons d’être démontés de notre gouvernail par les glaces.

— Eh bien, répondit Hatteras, risquons-le. Je ne consentirai pas à le faire enlever. Je veux être prêt à toute heure de jour ou de nuit. Veillez, monsieur Wall, à ce qu’on le protège autant que possible, en écartant les glaçons ; mais qu’il reste en place, vous m’entendez.

— Cependant, ajouta Wall…

— Je n’ai pas d’observations à recevoir, monsieur, dit sévèrement Hatteras. Allez. »

Wall retourna vers son poste.

« Ah ! fit Hatteras avec un mouvement de colère, je donnerais cinq ans de ma vie pour me trouver au nord ! Je ne connais pas de passage plus dangereux. Pour surcroît de difficulté, à cette distance rapprochée du pôle magnétique, le compas dort, l’aiguille devient paresseuse ou affolée et change constamment de direction !

— J’avoue, répondit le docteur, que c’est une périlleuse navigation ; mais enfin, ceux qui l’ont entreprise s’attendaient à ses dangers, et il n’y a rien là qui doive les surprendre.

— Ah ! docteur ! mon équipage est bien changé, et, vous venez de le voir, les officiers en sont déjà aux observations. Les avantages pécuniaires offerts aux marins étaient de nature à décider leur engagement ; mais ils ont leur mauvais côté, puisque, après le départ, ils font désirer plus vivement le retour ! Docteur, je ne suis pas secondé dans mon entreprise, et si j’échoue, ce ne sera pas par la faute de tel ou tel matelot dont on peut avoir raison, mais par le mauvais vouloir de certains officiers… Ah ! ils le payeront cher !

— Vous exagérez, Hatteras.

— Je n’exagère rien ! Croyez-vous que l’équipage soit fâché des obstacles que je rencontre sur mon chemin ? Au contraire ! On espère qu’ils me feront aban-