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AVENTURES DU CAPITAINE HATTERAS

au repos ; vous veillerez, Shandon, à ce que les lectures de la Bible soient régulièrement faites ; ces pratiques religieuses ont une influence salutaire sur l’esprit des hommes, et un marin surtout doit mettre sa confiance en Dieu.

— C’est bien, capitaine, répondit Shandon, qui sortit avec le lieutenant et le maître d’équipage.

— Docteur, fit John Hatteras en montrant Shandon, voilà un homme froissé que l’orgueil a perdu ; je ne peux plus compter sur lui. »

Le lendemain, le capitaine fit mettre de grand matin la pirogue à la mer ; il alla reconnaître les ice-bergs du bassin, dont la largeur n’excédait pas deux cents yards[1]. Il remarqua même que, par suite d’une lente pression des glaces, ce bassin menaçait de se rétrécir ; il devenait donc urgent d’y pratiquer une brèche, afin que le navire ne fût pas écrasé dans cet étau de montagnes ; aux moyens employés par John Hatteras, on vit bien que c’était un homme énergique.

Il fit d’abord tailler des degrés dans la muraille glacée, et il parvint au sommet d’un ice-berg ; il reconnut de là qu’il lui serait facile de se frayer un chemin vers le sud-ouest ; d’après ses ordres, on creusa un fourneau de mine presque au centre de la montagne ; ce travail, rapidement mené, fut terminé dans la journée du lundi.

Hatteras ne pouvait compter sur ses blasting-cylinders de huit à dix livres de poudre, dont l’action eût été nulle sur des masses pareilles ; ils n’étaient bons qu’à briser les champs de glace ; il fit donc déposer dans le fourneau mille livres de poudre, dont la direction expansive fut soigneusement calculée. Cette mine, munie d’une longue mèche entourée de gutta-percha, vint aboutir au dehors. La galerie, conduisant au fourneau, fut remplie avec de la neige et des quartiers de glaçons, auxquels le froid de la nuit suivante devait donner la dureté du granit. En effet, la température, sous l’influence du vent d’est, descendit à douze degrés (— 11° centigrades).

Le lendemain, à sept heures, le Forward se tenait sous vapeur, prêt à profiter de la moindre issue. Johnson fut chargé d’aller mettre le feu à la mine ; la mèche avait été calculée de manière à brûler une demi-heure avant de communiquer le feu aux poudres. Johnson eut donc le temps suffisant de regagner le

  1. 182 mètres.