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légèrement barbares, mais ils sont justes et précis. Parmi les macroures, Conseil cite des amathies dont le front est armé de deux grandes pointes divergentes, l’inachus scorpion, qui, — je ne sais pourquoi, — symbolisait la sagesse chez les Grecs, des lambres-masséna, des lambres-spinimanes, probablement égarés sur ce haut-fond, car d’ordinaire ils vivent à de grandes profondeurs, des xhantes, des pilumnes, des rhomboïdes, des calappiens granuleux, — très-faciles à digérer, fait observer Conseil, — des corystes édentés, des ébalies, des cymopolies, des dorripes laineuses, etc. Parmi les macroures, subdivisés en cinq familles, les cuirassés, les fouisseurs, les astaciens, les salicoques et les ochyzopodes, il cite des langoustes communes, dont la chair est si estimée chez les femelles, des scyllares-ours ou cigales de mer, des gébies riveraines, et toutes sortes d’espèces comestibles, mais il ne dit rien de la subdivision des astaciens qui comprend les homards, car les langoustes sont les seuls homards de la Méditerranée. Enfin, parmi les anomoures, il vit des drocines communes, abritées derrière cette coquille abandonnée dont elles s’emparent, des homoles à front épineux, des bernard-l’ermite, des porcellanes, etc.

Là s’arrêtait le travail de Conseil. Le temps lui avait manqué pour compléter la classe des crustacés par l’examen des stomapodes, des amphipodes, des homopodes, des isopodes, des trilobites, des branchiapodes, des ostracodes et des entomostracées. Et pour terminer l’étude des articulés marins, il aurait dû citer la classe des cyrrhopodes qui renferme les cyclopes, les argules, et la classe des annélides qu’il n’eût pas manqué de diviser en tubicoles et en dorsibranches. Mais le Nautilus, ayant dépassé le haut-fond du détroit de Libye, reprit dans les eaux plus profondes sa vitesse accoutumée. Dès lors plus de mollusques, plus d’articulés, plus de zoophytes. À peine quelques gros poissons qui passaient comme des ombres.

Pendant la nuit du 16 au 17 février, nous étions entrés dans ce second bassin méditerranéen, dont les plus grandes profondeurs se trouvent par trois mille mètres. Le Nautilus, sous l’impulsion de son hélice, glissant sur ses plans inclinés, s’enfonça jusqu’aux dernières couches de la mer.

Là, à défaut des merveilles naturelles, la masse des eaux offrit à mes regards bien des scènes émouvantes et terribles. En effet, nous traversions alors toute cette partie de la Méditerranée si féconde en sinistres. De la côte algérienne aux rivages de la Provence, que de navires ont fait naufrage, que de bâtiments ont disparu ! La Méditerranée n’est qu’un lac, comparée aux vastes plaines liquides du Pacifique, mais c’est un lac capricieux, aux flots changeants, aujourd’hui propice et caressant pour la frêle tartane qui semble flotter entre le double outre-mer des eaux et du ciel, demain,