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Il fut évident pour moi que cette Méditerranée, resserrée au milieu de ces terres qu’il voulait fuir, déplaisait au capitaine Nemo. Ses flots et ses brises lui rapportaient trop de souvenirs, sinon trop de regrets. Il n’avait plus ici cette liberté d’allures, cette indépendance de manœuvres que lui laissaient les océans, et son Nautilus se sentait à l’étroit entre ces rivages rapprochés de l’Afrique et de l’Europe.

Aussi, notre vitesse fut-elle de vingt-cinq milles à l’heure, soit douze lieues de quatre kilomètres. Il va sans dire que Ned Land, à son grand ennui, dut renoncer à ses projets de fuite. Il ne pouvait se servir du canot entraîné à raison de douze à treize mètres par seconde. Quitter le Nautilus dans ces conditions, c’eût été sauter d’un train marchant avec cette rapidité, manœuvre imprudente s’il en fut. D’ailleurs, notre appareil ne remontait que la nuit à la surface des flots, afin de renouveler sa provision d’air, et il se dirigeait seulement suivant les indications de la boussole et les relèvements du loch.

Je ne vis donc de l’intérieur de cette Méditerranée que ce que le voyageur d’un express aperçoit du paysage qui fuit devant ses yeux, c’est-à-dire les horizons lointains, et non les premiers plans qui passent comme un éclair. Cependant, Conseil et moi, nous pûmes observer quelques-uns de ces poissons méditerranéens, que la puissance de leurs nageoires maintenait quelques instants dans les eaux du Nautilus. Nous restions à l’affût devant les vitres du salon, et nos notes me permettent de refaire en quelques mots l’ichtyologie de cette mer.

Des divers poissons qui l’habitent, j’ai vu les uns, entrevu les autres, sans parler de ceux que la vitesse du Nautilus déroba à mes yeux. Qu’il me soit donc permis de les classer d’après cette classification fantaisiste. Elle rendra mieux mes rapides observations.

Au milieu de la masse des eaux vivement éclairées par les nappes électriques, serpentaient quelques-unes de ces lamproies longues d’un mètre, qui sont communes à presque tous les climats. Des oxyrhinques, sortes de raies, larges de cinq pieds, au ventre blanc, au dos gris cendré et tacheté, se développaient comme de vastes châles emportés par les courants. D’autres raies passaient si vite que je ne pouvais reconnaître si elles méritaient ce nom d’aigles qui leur fut donné par les Grecs, ou ces qualifications de rat, de crapaud et de chauve-souris, dont les pêcheurs modernes les ont affublées. Des squales-milandres, longs de douze pieds et particulièrement redoutés des plongeurs, luttaient de rapidité entre eux. Des renards marins, longs de huit pieds et doués d’une extrême finesse d’odorat, apparaissaient comme de grandes ombres bleuâtres. Des dorades, du genre spare, dont quelques-unes mesuraient jusqu’à treize décimètres, se mon-