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son harpon à la main, Ned Land, se précipitant vers le requin, ne l’eût frappé de sa terrible pointe.

Les flots s’imprégnèrent d’une masse de sang. Ils s’agitèrent sous les mouvements du squale qui les battait avec une indescriptible fureur. Ned Land n’avait pas manqué son but. C’était le râle du monstre. Frappé au cœur, il se débattait dans des spasmes épouvantables, dont le contrecoup renversa Conseil.

Cependant, Ned Land avait dégagé le capitaine. Celui-ci, relevé sans blessures, alla droit à l’indien, coupa vivement la corde qui le liait à sa pierre, le prit dans ses bras et, d’un vigoureux coup de talon, il remonta à la surface de la mer.

Nous le suivîmes tous trois, et, en quelques instants, miraculeusement sauvés, nous atteignions l’embarcation du pêcheur.

Le premier soin du capitaine Nemo fut de rappeler ce malheureux à la vie. Je ne savais s’il réussirait. Je l’espérais, car l’immersion de ce pauvre diable n’avait pas été longue. Mais le coup de queue du requin pouvait l’avoir frappé à mort.

Heureusement, sous les vigoureuses frictions de Conseil et du capitaine, je vis, peu à peu, le noyé revenir au sentiment. Il ouvrit les yeux. Quelle dut être sa surprise, son épouvante même, à voir les quatre grosses têtes de cuivre qui se penchaient sur lui !

Et surtout, que dut-il penser, quand le capitaine Nemo, tirant d’une poche de son vêtement un sachet de perles, le lui eut mis dans la main ? Cette magnifique aumône de l’homme des eaux au pauvre Indien de Ceylan fut acceptée par celui-ci d’une main tremblante. Ses yeux effarés indiquaient du reste qu’il ne savait à quels êtres surhumains il devait à la fois la fortune et la vie.

Sur un signe du capitaine, nous regagnâmes le banc de pintadines, et, suivant la route déjà parcourue, après une demi-heure de marche nous rencontrions l’ancre qui rattachait au sol le canot du Nautilus.

Une fois embarqués, chacun de nous, avec l’aide des matelots, se débarrassa de sa lourde carapace de cuivre.

La première parole du capitaine Nemo fut pour le Canadien.

« Merci, maître Land, lui dit-il.

— C’est une revanche, capitaine, répondit Ned Land. Je vous devais cela. »

Un pâle sourire glissa sur les lèvres du capitaine, et ce fut tout.

« Au Nautilus, » dit-il.

L’embarcation vola sur les flots. Quelques minutes plus tard, nous rencontrions le cadavre du requin qui flottait.