Page:Verne - Vingt mille lieues sous les mers.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cet objet oblong, le corps de l’homme mort dans la nuit ! Le capitaine Nemo et les siens venaient enterrer leur compagnon dans cette demeure commune, au fond de cet inaccessible Océan !

Non ! jamais mon esprit ne fut surexcité à ce point ! Jamais idées plus impressionnantes n’envahirent mon cerveau ! Je ne voulais pas voir ce que voyaient mes yeux !

Cependant, la tombe se creusait lentement. Les poissons fuyaient çà et là leur retraite troublée. J’entendais résonner, sur le sol calcaire, le fer du pic qui étincelait parfois en heurtant quelque silex perdu au fond des eaux. Le trou s’allongeait, s’élargissait, et bientôt il fut assez profond pour recevoir le corps.

Alors, les porteurs s’approchèrent. Le corps, enveloppé dans un tissu de byssus blanc, descendit dans son humide tombe. Le capitaine Nemo, les bras croisés sur la poitrine, et tous les amis de celui qui les avait aimés s’agenouillèrent dans l’attitude de la prière… Mes deux compagnons et moi, nous nous étions religieusement inclinés.

La tombe fut alors recouverte des débris arrachés au sol, qui formèrent un léger renflement.

Quand ce fut fait, le capitaine Nemo et ses hommes se redressèrent ; puis, se rapprochant de la tombe, tous fléchirent encore le genou, et tous étendirent leur main en signe de suprême adieu…

Alors, la funèbre troupe reprit le chemin du Nautilus, repassant sous les arceaux de la forêt, au milieu des taillis, le long des buissons de corail, et toujours montant.

Enfin, les feux du bord apparurent. Leur traînée lumineuse nous guida jusqu’au Nautilus. À une heure, nous étions de retour.

Dès que mes vêtements furent changés, je remontai sur la plate-forme, et, en proie à une terrible obsession d’idées, j’allai m’asseoir près du fanal.

Le capitaine Nemo me rejoignit. Je me levai et lui dis :

« Ainsi, suivant mes prévisions, cet homme est mort dans la nuit ?

— Oui, monsieur Aronnax, répondit le capitaine Nemo.

— Et il repose maintenant près de ses compagnons, dans ce cimetière de corail ?

— Oui, oubliés de tous, mais non de nous ! Nous creusons la tombe, et les polypes se chargent d’y sceller nos morts pour l’éternité ! »

Et cachant d’un geste brusque son visage dans ses mains crispées, le capitaine essaya vainement de comprimer un sanglot. Puis il ajouta :

« C’est là notre paisible cimetière, à quelques centaines de pieds au-dessous de la surface des flots !