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diffluente, qui affectait une couleur lie de vin. Il y avait eu à la fois contusion et commotion du cerveau. La respiration du malade était lente, et quelques mouvements spasmodiques des muscles agitaient sa face. La phlegmasie cérébrale était complète et entraînait la paralysie du sentiment et du mouvement.

Je pris le pouls du blessé. Il était intermittent. Les extrémités du corps se refroidissaient déjà, et je vis que la mort s’approchait, sans qu’il me parût possible de l’enrayer. Après avoir pansé ce malheureux, je rajustai les linges de sa tête, et je me retournai vers le capitaine Nemo.

« D’où vient cette blessure ? Lui demandai-je.

— Qu’importe ! répondit évasivement le capitaine. Un choc du Nautilus a brisé un des leviers de la machine, qui a frappé cet homme. Mais votre avis sur son état ? »

J’hésitais à me prononcer.

« Vous pouvez parler, me dit le capitaine. Cet homme n’entend pas le français. »

Je regardai une dernière fois le blessé, puis je répondis :

« Cet homme sera mort dans deux heures.

— Rien ne peut le sauver ?

— Rien. »

La main du capitaine Nemo se crispa, et quelques larmes glissèrent de ses yeux, que je ne croyais pas faits pour pleurer.

Pendant quelques instants, j’observai encore ce mourant dont la vie se retirait peu à peu. Sa pâleur s’accroissait encore sous l’éclat électrique qui baignait son lit de mort. Je regardais sa tête intelligente, sillonnée de rides prématurées, que le malheur, la misère peut-être, avaient creusées depuis longtemps. Je cherchais à surprendre le secret de sa vie dans les dernières paroles échappées à ses lèvres !

« Vous pouvez vous retirer, monsieur Aronnax », me dit le capitaine Nemo.

Je laissai le capitaine dans la cabine du mourant, et je regagnai ma chambre, très-ému de cette scène. Pendant toute la journée, je fus agité de sinistres pressentiments. La nuit, je dormis mal, et, entre mes songes fréquemment interrompus, je crus entendre des soupirs lointains et comme une psalmodie funèbre. Était-ce la prière des morts, murmurée dans cette langue que je ne savais comprendre ?

Le lendemain matin, je montai sur le pont. Le capitaine Nemo m’y avait précédé. Dès qu’il m’aperçut, il vint à moi.

« Monsieur le professeur, me dit-il, vous conviendrait-il de faire aujourd’hui une excursion sous-marine ?