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de trois russes et de trois anglais

audacieux, qui, dans cette mémorable expédition, devaient se montrer jusqu’au bout les héros de la science.

Ce fut sir John Murray qui prit la parole le premier, et il répondit au bushman :

« Mais, mon brave Mokoum, nous n’avons pas achevé notre opération.

— Quelle opération ?

— La mesure de la méridienne !

— Croyez-vous donc que les Makololos se soucient de votre méridienne ? répliqua le chasseur.

— Qu’ils ne s’en soucient pas, c’est possible, reprit sir John Murray, mais nous nous en soucions, nous autres, et nous ne laisserons pas cette entreprise inachevée. N’est-ce pas votre avis, mes chers collègues ?

— C’est notre avis, répondit le colonel Everest, qui, parlant au nom de tous, se fit l’interprète de sentiments que chacun partageait. Nous n’abandonnerons pas la mesure de la méridienne ! Tant que l’un de nous survivra, tant qu’il pourra appliquer son œil à l’oculaire d’une lunette, la triangulation suivra son cours ! Nous observerons, s’il le faut, le fusil d’une main, l’instrument de l’autre, mais nous tiendrons ici jusqu’à notre dernier souffle.

— Hurrah pour l’Angleterre ! hurrah pour la Russie ! » crièrent ces énergiques savants, qui mettaient au-dessus de tout danger l’intérêt de la science.

Le bushman regarda un instant ses compagnons, et ne répondit pas. Il avait compris.

Cela était donc convenu. L’opération géodésique serait continuée quand même. Mais les difficultés locales, cet obstacle du Ngami, le choix d’une station convenable, ne la rendraient-ils pas impraticable ?

Cette question fut posée à Mathieu Strux. L’astronome russe, depuis deux jours qu’il occupait le sommet du Scorzef, devait pouvoir y répondre.

« Messieurs, dit-il, l’opération sera difficile, minutieuse, elle demandera de la patience et du zèle, mais elle n’est point impraticable. De quoi s’agit-il ? De relier géodésiquement le Scorzef avec une station située au nord du lac ? Or, cette station existe-t-elle ? Oui, elle existe, et j’avais déjà choisi à l’horizon un pic qui pût servir de mire à nos lunettes. Il s’élève dans le nord-ouest du lac, de telle sorte que ce côté du triangle coupera le Ngami suivant une ligne oblique.

— Eh bien, dit le colonel Everest, si le point de mire existe, où est la difficulté ?

— La difficulté, répondit Mathieu Strux, sera dans la distance qui sépare le Scorzef de ce pic !

— Quelle est donc cette distance ? demanda le colonel Everest.