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de trois russes et de trois anglais

place, bien que tout ce que la caravane avait de précieux, son matériel, ses chariots, ses chevaux, ses bœufs, ses approvisionnements, fût tombé en leur pouvoir ; mais ce butin ne leur suffisait pas sans doute, et, après avoir massacré les Européens, ils voulaient s’emparer de leurs armes, dont le colonel et les siens venaient de faire un si terrible usage.

Les savants russes et anglais, ayant observé le campement indigène, s’entretinrent longuement avec le bushman. Il s’agissait de prendre une résolution définitive. Mais cette résolution devait dépendre d’un certain concours de circonstances, et avant tout, il fallait relever exactement la situation du Scorzef.

Cette montagne, les astronomes savaient déjà qu’elle dominait au sud les immenses plaines qui s’étendent jusqu’au Karrou. À l’est et à l’ouest, c’était la prolongation du désert suivant son plus petit diamètre. Vers l’ouest, le regard saisissait à l’horizon la silhouette affaiblie des collines qui bordent le fertile pays des Makololos, dont Maketo, l’une des capitales, est située à cent milles environ dans le nord-est du Ngami.

Vers le nord, au contraire, le mont Scorzef dominait un pays tout différent. Quel contraste avec les arides steppes du sud ! De l’eau, des arbres, des pâturages, et toute cette toison du sol qu’une humidité persistante peut entretenir ! Sur une étendue de cent milles au moins, le Ngami déroulait de l’est à l’ouest ses belles eaux, qui s’animaient alors sous les rayons du soleil levant. La plus grande largeur du lac se développait dans le sens des parallèles terrestres. Mais du nord au sud, il ne devait pas mesurer plus de trente à quarante milles. Au delà, la contrée se dessinait en pente douce, très variée d’aspect, avec ses forêts, ses pâturages, ses cours d’eau, affluents du Lyambie ou du Zambèse, et tout au nord, mais à quatre-vingt milles au moins, une chaîne de petites montagnes l’encadrait de son pittoresque contour. Beau pays, jeté comme une oasis, au milieu de ces déserts ! Son sol, admirablement irrigué, toujours revivifié par un réseau de veines liquides, respirait la vie. C’était le Zambèse, le grand fleuve, qui, par ses tributaires, entretenait cette végétation prodigieuse ! Immense artère, qui est à l’Afrique australe, ce que le Danube est à l’Europe, et l’Amazone à l’Amérique du sud !

Tel était ce panorama qui se développait aux regards des Européens. Quant au Scorzef, il s’élevait sur la rive même du lac, et, ainsi que Mathieu Strux l’avait dit, ses flancs, du côté du nord, tombaient à pic dans les eaux du Ngami. Mais il n’est pentes si roides que des marins ne puissent monter ou descendre, et, par un étroit raidillon qui s’en allait de pointe en pointe, ils étaient parvenus jusqu’au niveau du lac, à l’endroit même où la chaloupe à vapeur était mouillée. L’approvisionnement d’eau était