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de trois russes et de trois anglais

pyramide. La nuit, ajoutant encore à ses dimensions réelles, en doublait l’altitude.

Si Mokoum ne s’était pas trompé, le Ngami devait être derrière le Scorzef. Il s’agissait donc de tourner le mont de manière à gagner par le plus court la vaste étendue d’eau douce.

Le bushman prit la tête de la caravane, en compagnie des trois Européens, et il se préparait à incliner sur la gauche, quand des détonations, très distinctes bien qu’éloignées, l’arrêtèrent soudain.

Les Anglais avaient aussitôt retenu leurs montures. Ils écoutaient avec une anxiété facile à comprendre. Dans un pays où les indigènes ne se servent que de lances et de flèches, des détonations d’armes à feu devaient leur causer une surprise mêlée d’anxiété.

« Qu’est-cela ? demanda le colonel.

— Des coups de feu ! répondit sir John.

— Des coups de feu ! s’écria le colonel, et dans quelle direction ? »

Cette question s’adressait au bushman, qui répondit :

« Ces coups de fusil sont tirés du sommet du Scorzef. Voyez l’ombre qui s’illumine au-dessus ! On se bat par-là ! Des Makololos, sans doute, qui s’attaquent à un parti d’Européens.

— Des Européens ! dit William Emery.

— Oui, monsieur William, répondit Mokoum. Ces détonations bruyantes ne peuvent être produites que par des armes européennes, et j’ajouterai par des armes de précision.

— Ces Européens seraient-ils donc ?… »

Mais le colonel, l’interrompant, s’écria :

« Messieurs, quels que soient ces Européens, il faut aller à leur secours.

— Oui ! oui ! allons ! allons ! » répéta William Emery, dont le cœur se serrait douloureusement.

Avant de se porter vers la montagne, le bushman voulut une dernière fois rallier sa petite troupe, qu’un parti de pillards pouvait inopinément entourer. Mais quand le chasseur fut revenu en arrière, la caravane était dispersée, les chevaux dételés, les chariots abandonnés, et quelques ombres, errant sur la plaine, disparaissaient déjà vers le sud.

« Les lâches ! s’écria Mokoum, soif, fatigues, ils oublient tout pour fuir !… »

Puis, retournant vers les Anglais et leurs braves matelots :

« En avant, nous autres ! » dit-il.

Les Européens et le chasseur s’élancèrent aussitôt dans la direction du nord, arrachant à leurs chevaux ce qui leur restait encore de force et de vitesse.